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Researching the Fortress of Louisbourg National Historic Site of Canada
  Recherche sur la Forteresse-de-Louisbourg Lieu historique national du Canada

Return/retour

INTERPRÉTATION DE LA
PROPRIÉTÉ DE LENEUF DE LA VALLIÈRE

Forteresse de Louisbourg
Rapport O C 87

 

PREFACE

Le présent guide rassemble les données historiques
produites au cours des années et qui sont indispensables
à l'interprétation de la propriété de Leneuf de La Vallière,
ainsi que des activités commerciales en général
.

Les principaux thèmes d'interprétation de la propriété Leneuf de La Vallière demeurent les mêmes (la pêche, le négoce, le commerce et la musique), mais on a apporté des changements à l'interprétation de la vie des occupants de la propriété en 1744. Parce qu'on ne possède que peu d'informations précises sur leurs activités cette année-là, alors qu'on a une foule de renseignements pour d'autres années, l'interprétation de la propriété n'est pas toujours cohérente. Il a donc été décidé de remédier à la situation en interprétant la vie des occupants suivants :

Total : 15 (quinze) personnes, y compris les domestiques, vivent dans la maison en 1744.

16 (seize) personnes, après que Marie-Charlotte Rousseau, épouse de Louis, a donné naissance à un garçon le 8 septembre.

L'ajout de la taverne Beaujour, exemple d'établissement bourgeois, permet de faire le lien avec Philippe Leneuf de Beaubassin, puisque ce dernier et sa future épouse sont le parrain et la marraine du beau-fils (Jacques Guyon) de Jean Cressonet, dit Beauséjour, en 1738.


INTRODUCTION

Vous pouvez présenter la propriété Leneuf aux visiteurs
en commençant par donner un aperçu de la famille Leneuf
elle-même, en mentionnant l'importance du commerce à Louisbourg, etc.

Vous êtes dans la propriété des Leneuf, famille de militaires et de marchands bien connus à Louisbourg. C'est la maison de Louis Leneuf de La Vallière, officier en garnison à Louisbourg. Son frère, Philippe Leneuf de Beaubassin, un des nombreux marchands de la ville, importe et exporte des marchandises, et se sert du magasin. Si l'économie de Louisbourg repose sur la pêche, on peut dire que le commerce est certainement le mortier qui consolide cette fondation. La fonction des marchands est double : assurer l'exportation de la morue séchée en France et dans les Antilles, et l'importation des marchandises indispensables à la vie de la colonie. La pêche étant la seule et unique industrie de la région, inutile de dire que l'importation est une activité essentielle. Les denrées alimentaires, les vêtements, les matériaux de construction, les outils, etc., proviennent surtout de France, mais aussi des Antilles, du Québec, de l'Acadie et de la Nouvelle-Angleterre. Le lien qui unit la famille Leneuf à Louisbourg n'est pas nouveau. En 1713, Michel Leneuf de La Vallière (père de Philippe Leneuf de Beaubassin) était l'un des signataires de la prise de contrôle officielle par la France du futur emplacement de Louisbourg. Grâce à ses relations professionnelles et aux liens tissés par mariage, la famille Leneuf côtoie des militaires de hauts grades, traite avec les membres importants du milieu des affaires et établit des liens avec le peuple mi'kmaq.

On trouvera, dans les pages suivantes, un aperçu des activités commerciales dans la colonie de Louisbourg, un tableau de la famille Leneuf et un résumé des différents aspects de la vie de la colonie auxquels elle participe.


Les marchands de Louisbourg

Entre 1713 et 1758, on recense quelque 200 personnes qui se disaient marchands à Louisbourg. Leur nombre varie d'une année à l'autre pour atteindre un maximum en 1755, année où 66 personnes ont déclaré remplir cette fonction.

Ces marchands venaient en général de la côte ouest de la France, de ports de pêche ou de commerce comme Bordeaux, Saint-Malo et Saint-Jean-de-Luz, ou de grands centres commerciaux de l'intérieur des terres tels que Paris ou Lyon. Ils appartenaient souvent à des familles du milieu des affaires, ou descendaient de familles de pêcheurs ou de transporteurs maritimes établies dans le Nouveau Monde avant la fin du XVIIe siècle.

Les marchands de Louisbourg ne formaient pas une communauté fermée, leur population changeant constamment au gré de l'immigration et de l'émigration. Si, en moyenne, la durée de la carrière de la plupart des marchands semble être inférieure à 10 ans, la durée de leur séjour dans la colonie est en général plus longue, car certains y exerçaient une autre profession ou bien y avaient tout simplement grandi. Un marchand pouvait cesser ses activités pour plusieurs raisons : décès, retraite, changement de profession, déménagement loin de la colonie, les sièges de 1745 et de 1758.

Comme il n'existait aucune guilde de marchands pour réglementer la profession, toute personne qui se livrait à des activités commerciales importantes pouvait se dire marchand. C'est ainsi que des administrateurs, des officiers, des artisans, des aubergistes et des pêcheurs pratiquaient le commerce, soit comme activité accessoire, soit dans l'exercice même de leur profession.

La plupart des gens qui avaient de gros investissements dans le commerce étaient considérés comme des marchands, à quelques exceptions près. En effet, les officiers et les administrateurs de profession se faisaient en général appeler par leur grade ou par leur titre, même s'ils se livraient à des activités commerciales importantes. Les officiers et les administrateurs qui avaient des dispositions pour le commerce concentraient surtout leurs activités sur des secteurs qui leur procuraient des bénéfices personnels, les officiers faisant du commerce pour les avant-postes qu'ils commandaient, et les administrateurs pour les autorités locales. Ils préféraient investir de l'argent plutôt que du temps dans l'acquisition de compétences, comme le faisaient les autres marchands. Il y avait pourtant des exceptions, comme Michel Leneuf de La Vallière, qui fit véritablement du commerce à Port-Toulouse.

 Un nombre relativement important de marchands s'occupaient aussi de transport maritime et de pêche ou tenaient une auberge. Un capitaine de navire pouvait très bien prendre sa retraite et devenir marchand. On demandait souvent aux capitaines de navire de commerce de vendre d'importantes cargaisons de marchandises, en échange d'une commission en espèces. Il est évident que sa connaissance des routes maritimes d'importation et d'exportation donnait à un capitaine un réel avantage dans le secteur du transport maritime. Le lien entre les activités de marchand et de pêcheur est assez évident. En ce qui concerne l'hôtellerie, le lien vient certainement de la nécessité d'importer les denrées alimentaires et de la demande accrue de services de restauration et d'hébergement pendant la saison maritime.

Négociants et marchands

On distingue deux catégories de personnes qui se livrent au commerce : les marchands et les négociants. «Marchand» est le terme général le plus utilisé et désigne une personne qui vend des articles au détail dans un magasin et pratique donc un commerce local. Un négociant, par contre, fait du commerce à l'échelle internationale. Le négociant, contrairement au marchand, exporte de la morue et importe des marchandises, et se livre à des opérations d'achat et de vente à long terme. Un négociant peut se dire marchand puisqu'il se livre aux mêmes activités, mais l'inverse n'est pas possible, à moins que les activités commerciales du marchand ne dépassent le contexte local.

Marchands habitants-pêcheurs

La pêche était la principale activité économique de la vie civile dans le Louisbourg du XVIIIe siècle. Plutôt que de réinvestir leurs profits dans la pêche, certains habitants-pêcheurs se sont lancés dans le commerce en qualité d'agents locaux, de marchands de gros approvisionnant les autres habitants-pêcheurs, ou encore de propriétaires de navires aux activités commerciales diverses. De leur côté, beaucoup de marchands de Louisbourg exploitaient une entreprise de pêche pour diversifier leurs activités. Il semble que ce soient les entreprises de ce genre, combinant pêche et activités marchandes, qui aient été parmi les plus prospères de la colonie. En raison du grand nombre d'entreprises de pêche et du coût du matériel, qui représentait en moyenne 30 p. cent des revenus d'une entreprise, les activités commerciales portaient surtout sur l'approvisionnement en matériel, qui pouvait varier, chaque année, de 250 000 à 500 000 livres, selon le nombre d'hommes et de bateaux employés dans l'industrie de la pêche. Les entreprises qui combinaient pêche et activités marchandes réduisaient leurs coûts en produisant de la morue qu'elles exportaient, et en important le matériel dont elles avaient besoin. Par la même occasion, elles approvisionnaient aussi les autres habitants-pêcheurs, qui les payaient en quintaux de morue séchée. C'est ainsi qu'une entreprise de pêche dépendait moins de sa propre production de poisson et répartissait les risques entre les autres entreprises.

 

Marchands de gros

D'autres marchands de gros réussirent à survivre, et certains même à prospérer, sans posséder d'entreprise de pêche. Soit qu'ils achetaient le poisson aux habitants-pêcheurs indépendants et les approvisionnaient en marchandises, soit qu'ils trouvaient des marchés autres que l'industrie de la pêche. Il semble que, en dehors de cette dernière, l'autre marché le plus important était l'administration locale.

Au début de la colonie, les marchands locaux ne bénéficiaient pas directement de la présence du gouvernement, dont les dépenses étaient surtout d'ordre salarial. Jusque vers 1735, le Trésor de Louisbourg dépensait plus pour le bois de chauffage et le transport que pour l'achat sur place de marchandises importées. À mesure que la colonie se développe, l'administration commence à s'approvisionner localement, laissant les navires privés remplacer petit à petit les navires de la Marine pour le transport des marchandises.

Les marchands de la colonie profitèrent de la construction des fortifications en fournissant les matériaux nécessaires (briques, bois d'oeuvre, pierres, etc.) au gouvernement et aux sous-traitants locaux. L'approvisionnement du gouvernement fut le secteur dont la croissance fut la plus rapide après 1740; comme dans le secteur de l'approvisionnement des entreprises de pêche, la concurrence était grande. Les marchands locaux devaient également partager le marché avec de nombreux marchands de passage, qui n'habitaient pas la colonie.

La fourniture de navires est un autre marché que se disputaient les marchands de gros de la colonie. Tous les navires qui accostaient à Louisbourg devaient se ravitailler, et un bon nombre d'entre eux avaient besoin de faire remplacer un mât, une voile, un cordage ou une pièce quelconque d'équipement. Il se pourrait aussi que l'achat et la revente de bateaux aient été un aspect fort important des activités de certains marchands.

Les marchands de gros profitaient également des quelques industries (essentiellement exploitation forestière, construction navale et culture maraîchère) et des artisans de Louisbourg, qui s'approvisionnaient chez eux, sans oublier la population locale relativement petite, qui constituait un marché au détail qui devait, lui aussi, être approvisionné.

 On compte peu de marchands de gros qui, pendant la première occupation française, réussirent à monter une affaire prospère sans être également propriétaires d'une entreprise de pêche. Les marchands qui ont réussi dans le commerce de gros sans posséder d'entreprise de pêche étaient en général des marins employés par une compagnie de transport maritime.

En résumé, ces «autres marchands de gros» achetaient le poisson des habitants-pêcheurs et leur vendaient, en retour, les marchandises dont ils avaient besoin, approvisionnaient le gouvernement et les entrepreneurs contractuels, ravitaillaient les bateaux de passage et vendaient des marchandises aux artisans locaux et à la population en général. Ils ne pratiquaient pas la pêche.

 


Le commerce de détail

La population locale constituait le premier marché auquel étaient destinées les marchandises importées à Louisbourg. Malheureusement, les possibilités de vente au détail étaient réduites en raison, non seulement, de la population peu élevée, mais aussi du grand nombre de personnes exclues de ce marché. Les soldats, les pêcheurs et les domestiques recevaient de leurs employeurs tout ce dont ils avaient besoin pour vivre, ou bien leur achetaient ces services. De plus, la plupart des marchandises importées à Louisbourg étaient emballées en vrac et faciles à conserver. Comme l'importation ne pouvait se faire que pendant la saison maritime, on encourageait donc l'entreposage et l'achat en gros. Il va s'en dire que le nombre de ménages faisant leurs provisions tous les jours à Louisbourg était minime.

Les articles et denrées vendus par un marchand étaient entreposés en vrac dans son magasin. On y trouvait des tonneaux de vin, de rhum et de farine, des mètres de cordage, des quantités de sel, des rouleaux de tabac, mais surtout des quintaux de morue. Les magasins étaient en général de vastes bâtiments aux fenêtres munies de barreaux et fermés au cadenas pour empêcher les vols; ils pouvaient avoir parfois deux ou plusieurs pièces, et étaient équipés de palans, de balances et de matériel de cerclage. Il n'existe aucun indice permettant de conclure qu'ils abritaient un bureau ou, du moins, une pièce réservée à la comptabilité; d'ailleurs, d'après les inventaires, les marchands conservaient habituellement leurs papiers à leur domicile.

Si la colonie offrait des possibilités alléchantes aux marchands de gros, elle n'en constituait pas moins un marché de détail intéressant. La boutique, qui faisait souvent partie d'une maison particulière, servait au dépôt et à la vente au détail de petits articles - tissus, boutons, accessoires divers, ciseaux, tabatières, couteaux et autres ustensiles ménagers. Comme les denrées et produits alimentaires se vendaient en général chez les marchands spécialisés, on ne trouvait que des articles ménagers ou de mercerie dans une boutique. Certains marchands exploitaient une boutique spécialisée, tandis que d'autres pratiquaient le commerce de gros et de détail depuis un magasin ou une boutique.

«Pacotilleur» s'entend d'un petit marchand qui achetait son passage à bord d'un navire marchand et transportait son propre ballot de marchandises, appelé «pacotille». Une fois à Louisbourg, le pacotilleur louait un endroit jusqu'à ce qu'il ait vendu tout son ballot; il déménageait ensuite pour vendre un nouvel assortiment de marchandises achetées avec les profitsi réalisés. Il s'agissait évidemment d'une activité commerciale beaucoup moins importante que celle à laquelle se livraient les directeurs de cargaison mentionnés plus bas.

 


Définitions

Propriétaires de navires

Les marchands locaux ne possédaient et ne géraient qu'un petit nombre des navires qui importaient des marchandises à l'Isle Royale. La flotte locale se composait surtout de petits bateaux qui se livraient au commerce le long des côtes. Sans cette activité côtière, les marchands locaux ne détenaient que 5 p. cent de la part de tout le commerce maritime de la colonie. Les marchands de Louisbourg achetaient pourtant beaucoup de navires, mais, comme ils les considéraient souvent comme une simple marchandise, ils se dépêchaient de les revendre à profit.

 

Location de tonnage

Les marchands de Louisbourg dépendaient certes du transport maritime, mais il ne leur fallait pas nécessairement être propriétaires de navires pour exporter des marchandises depuis l'Isle Royale ou pour en importer. Il semble que la demande de marchandises à Louisbourg et la demande de morue à l'extérieur occasionnaient suffisamment d'échanges commerciaux pour satisfaire les besoins de la majorité des marchands locaux, qui se contentaient de louer du tonnage de transport à bord des navires marchands. Dans la plupart des cas, il était certainement plus rentable de louer du tonnage que de devoir entretenir une flotte commerciale.

 

Agents à la commission

S'il arrivait parfois que des fournisseurs français affectaient un agent à la commission à Louisbourg chargé de superviser la vente de leurs cargaisons régulières, ils confiaient habituellement cette fonction à un marchand local, qui était payé à la commission. Les marchands de Louisbourg avaient recours au même procédé pour vendre leurs marchandises en France. Le marchand qui servait d'agent local ne faisait que trouver des acheteurs et remettre l'argent des ventes à l'exportateur, moyennant une commission, qui correspondait en général à 5 p. cent du prix de vente des marchandises, plus les frais d'entreposage et les coûts divers. S'il est vrai que certains marchands de Louisbourg ont servi d'agents locaux pour le compte des mêmes exportateurs français pendant très longtemps, il s'agissait en général d'ententes de services de courte durée passées entre un exportateur et un marchand local.

Les directeurs de cargaison, qui accompagnaient les marchandises depuis la France et supervisaient leur vente une fois à Louisbourg, remplissaient une fonction identique. Bien qu'il leur arrivait parfois de rester un an à Louisbourg, ou même davantage, et de passer des accords commerciaux à court terme pour leur propre compte, ils n'étaient pas considérés comme des habitants de la colonie.

On peut dire que les agents locaux étaient en quelque sorte des travailleurs indépendants engagés par voie de contrat par divers marchands, et payés à la commission; certains marchands de Louisbourg avaient pourtant des liens plus étroits avec leurs homologues français. Quelques-uns, souvent des parents ou des employés de confiance d'une compagnie française, étaient même autorisés à investir l'argent de cette compagnie à l'Isle Royale pour y monter une grosse affaire.

 

Répartition des risques

Les marchands, qui désiraient minimiser les pertes éventuelles et s'intéressaient essentiellement au transport de marchandises, préféraient acquérir des parts dans plusieurs navires plutôt que d'en être les propriétaires uniques. La plupart étaient des entrepreneurs indépendants, et, d'après les archives, on ne comptait que 1 496 associations de marchands à Louisbourg. La demande de marchandises était suffisamment importante pour justifier le paiement de tarifs de fret.

 

Assurance

En général, les compagnies d'assurance assuraient un navire et sa cargaison pour un maximum de 75 000 livres, ce qui explique pourquoi on assurait souvent un navire dans plusieurs villes pour un même voyage. C'est ainsi que, en 1745, pour son retour de la Martinique, l'Union fut assuré auprès d'une compagnie de Marseille, de Bayonne, de La Rochelle, de Nantes, de Saint-Malo, d'Amsterdam, de Cadix, de Pantelleria (en Italie), et de Londres. Les tarifs d'assurance étaient différents en temps de paix - de 3 à 6 p. cent -, et en temps de guerre - de 16 à 40 p. cent -, et variaient selon les compagnies d'assurance, la situation internationale et la nature du voyage (un voyage le long des côtes coûtait moins cher à assurer qu'une traversée de l'océan).

 

Comptabilité

Les débits, les crédits, les achats et les ventes étaient d'abord consignés dans le livre-journal, puis reportés dans le grand livre, pour avoir une idée précise de la situation financière d'une entreprise. On distingue les grands marchands des petits marchands à la qualité de leur comptabilité.

 

Comptabilité en partie double

Bien qu'il n'y ait aucune mention de cette technique à Louisbourg, on sait qu'elle était très répandue en France au XVIIIe siècle. Elle consistait à porter chaque opération à la fois au débit d'un ou de plusieurs comptes et au crédit d'un ou de plusieurs autres comptes. Exemple : Chaque fois qu'un marchand vendait un article et se faisait payer en espèces, l'opération était inscrite de façon à montrer une diminution des stocks et, en même temps, une augmentation des rentrées de fonds.

 

Mode de paiement

Le paiement en liquide, soit en espèces sonnantes, n'était aucunement pratique vu les immenses quantités de marchandises qui étaient importées et vendues. C'était en fait les documents suivants qui avaient valeur de monnaie forte : (a) Le billet à ordre : document écrit par lequel une personne s'engageait à payer une somme due à une autre personne. (b) La lettre de change : était l'équivalent de nos chèques d'aujourd'hui, mais concernait trois personnes (le payeur, le porteur et une tierce personne qui agissait en qualité de banquier); exemple : M. Dupont devait 1 000 livres à M. Durant, et M. Dubois devait 1 000 livres à M. Dupont;

M. Dubois versait à M. Durant les 1 000 livres que ce dernier devait à M. Dupont.

 


Les magasins du XVIIIe siècle

Le contenu du magasin d'un marchand au XVIIIe reflétait le commerce auquel se livrait ce marchand. Les activités marchandes de l'époque portaient sur quatre secteurs :

(1) La pêche. Non seulement les marchands de Louisbourg approvisionnaient les habitants-pêcheurs en matériel, mais la plupart possédaient et exploitaient leurs propres entreprises de pêche, ce qui en faisait à la fois des producteurs et des exportateurs de morue séchée, ainsi que des acheteurs. En conséquence, presque tous leurs magasins contenaient du matériel de pêche et de grandes quantités de morue séchée.

(2) Marché local et fourniture de navires. Les magasins vendaient à la population de Louisbourg, au gouvernement local et aux navires de passage les produits importés en échange de la morue salée.

(3) Le transbordement. L'expédition de marchandises provenant d'autres régions était un aspect important desactivités de la plupart des entreprises.

(4) La course. Pratiquée en temps de guerre, la course permettait à un capitaine de navire (corsaire) habilité par son gouvernement de prendre à l'abordage les navires de commerce ennemis et de vendre les cargaisons à son profit.

Comme il existe très peu d'informations sur l'entreprise de Philippe Leneuf de Beaubassin, bien qu'on sache qu'il pratiquait la course, il a été décidé de mettre dans le magasin un échantillon représentatif des marchandises de chacun des partenaires commerciaux de Louisbourg.

 

Magasin

Lieu de dépôt de marchandises (il n'existe aucun indice prouvant la présence de bureaux). Les marchands gardaient en général leurs papiers chez eux, bien que les transactions commerciales se faisaient dans le magasin même. C'est dans ce dernier que les marchandises étaient inspectées, négociées et remballées. Boutique : Elle faisait en général partie de la maison et servait au dépôt et à la vente au détail d'articles qui ne pouvaient s'acheter en gros (articles de mercerie, ustensiles de cuisine). La marchandise était exposée, et il y avait également des étagères.

 

Services gouvernementaux responsables des activités commerciales

L'Amirauté

L'Amirauté était chargée de délivrer les passeports, de traiter les déclarations de douane, d'inspecter les navires et leurs cargaisons, de recueillir les dépositions concernant les épaves et les accidents, et de décider de la légitimité de la capture des navires ennemis.

 

Le capitaine de port

Le capitaine de port supervisait l'accostage des navires; il surveillait les récifs et les bancs de sable indiqués sur les cartes, et administrait le port dans son ensemble.

 

Bureau du commissaire-ordonnateur

Ce bureau gérait tous les dossiers ayant trait au commerce et à la pêche, empêchait les pratiques commerciales malhonnêtes, et traitait les papiers des marins.

La Cour de l'Amirauté, la cour du Bailliage et le Conseil supérieur, chargées de l'administration de la justice dans la colonie, jugeaient les affaires tant civiles que criminelles.

 

Frais administratifs (droits ou impôts)

Les capitaines de navire étaient tenus de remplir diverses déclarations à l'arrivée dans le port et au départ, et de payer des frais à chaque étape du processus administratif. Après 1732, on imposa une tarification en fonction du tonnage des navires, et les revenus ainsi générés servirent à l'entretien du phare. La dîme correspondait au quintal de morue que chaque chaloupe devait remettre à la paroisse de Louisbourg en guise d'impôt.

 

Frais de justice

C'était à la partie perdante de payer les frais judiciaires dans une affaire civile.

 

Frais de service

Il fallait payer tous les services offerts par l'hôpital, les arpenteurs, les notaires, les huissiers, les crieurs et tout autre agent officiel.

 

 

Propriétaires uniques et associés

Bien que les marchands de Louisbourg étaient en général des entrepreneurs indépendants, on comptait cependant quelques associations. Il est aussi arrivé que des fils et des frères de marchands de Louisbourg préfèrent monter leur propre entreprise plutôt que de joindre l'entreprise familiale.

Il semble que les conditions économiques à l'Isle Royale et la nature de l'entreprise commerciale à l'époque aient permis aux petits marchands de survivre.

La survie du marchand dépendait autant de sa compétence que de sa fortune, ce qui explique pourquoi il ne lui était pas absolument nécessaire de se chercher des associés ou des investisseurs pour augmenter le capital d'une nouvelle entreprise.

La petite entreprise profitait en fait de la taille de Louisbourg, dont l'économie faisait vivre surtout des travailleurs spécialisés (réparateurs de bateaux, tonneliers, charretiers et autres), ainsi qu'une importante main-d'oeuvre non qualifiée. Le marchand n'était donc pas obligé d'embaucher un personnel de débardeurs, de tonneliers et autres.

Les associations de courte durée, destinées à la réalisation d'un projet ponctuel, étaient pratique courante. Ces associations n'avaient souvent qu'un but financier et consistaient à diviser les profits tirés d'un navire ou d'une cargaison entre les associés; elles étaient dissoutes une fois le projet terminé.

Dans le cas des associations commerciales officielles, deux ou plusieurs personnes signaient un contrat d'association qui servait à renforcer les liens tant personnels que professionnels, et créait, pour ainsi dire, une famille artificielle. Si la réussite de l'affaire dépendait en grande partie de la compétence et de l'initiative des associés, il était alors impossible de calculer avec précision la contribution, essentielle mais non monétaire, de chacun. Seuls les associés qui s'entendaient bien et étaient prêts à tout partager également pouvaient continuer à mettre en commun leurs biens et leurs revenus pendant longtemps et sans problème.

 

Commerce et transbordement

Il y aurait lieu d'insister sur le fait que Louisbourg dépendait presque entièrement de sources extérieures pour s'approvisionner, et possédait donc une économie extrêmement vulnérable. En temps de paix, lorsque les corsaires et les bâtiments de guerre ne parcouraient pas les lignes de navigation, les choses allaient bien, mais, une fois la guerre déclarée, l'économie de Louisbourg commença rapidement à se détériorer. Les marchands, qui exportaient de la morue séchée en échange de denrées alimentaires, d'équipements divers et de matériel de pêche, commerçaient directement avec les cinq partenaires commerciaux de Louisbourg. La colonie finit par devenir un grand centre de transbordement, et de nombreuses entreprises ajoutèrent l'entreposage des marchandises à leurs activités. L'un des aspects les plus lucratifs du transbordement pour les marchands de Louisbourg était l'expédition, principalement vers la Nouvelle-Angleterre, du sucre et du rhum provenant des Antilles. Le magasin contient des marchandises provenant de la France, des Antilles, de la Nouvelle-Angleterre, du Canada et de l'Acadie.

 

Liste des Marchandises et de leur Pays d'Origine

(01) France (le partenaire commercial
de loin le plus important)

Ballots : tissus au mètre et étoupe

Tonneaux : vin en barrique et viande salée en pinte

Cordage : de tailles diverses

Caisses : outils et chaussures

 

(02) Antilles

Tonneaux : sucre, mélasse et rhum en barrique

 

(03) Nouvelle-Angleterre (Les échanges
commerciaux ont augmenté pendant
la seconde occupation)

Tonneaux : farine en pinte

Planches

Planches destinées à la construction navale

 

(04) Canada

Tonneaux : pois secs en pinte, blé et avoine

Balle : pelleteries, peaux de phoque

 

(05) Acadie

Tonneaux : viande salée en pinte

Balles : pelleteries et peaux

 

La course et les marchands

La course était un débouché commercial qui ne se présentait que pendant une guerre. Une personne pouvait obtenir l'autorisation d'attaquer des navires ennemis et de s'en emparer. La Cour de l'Amirauté jugeait de la légitimité des prises, qui étaient ensuite vendues. Les profits des ventes étaient répartis entre les promoteurs du projet et le Roi.

Dans la dépêche annonçant la déclaration de la guerre qu'il fit envoyer à Louisbourg en 1744, le ministre de la Marine exhortait les autorités locales à encourager l'armement de navires pour la course. Duquesnel et Bigot, sachant que la colonie manquait de canons et d'armes légères, n'ont pas suivi cette consigne tout de suite, sans doute pour empêcher que les ressources militaires affectées à l'expédition contre Canso ne soient utilisées par les corsaires.

Une fois Canso pris, on continua l'effort de guerre en ayant recours aux corsaires. Le nombre de bâtiments pouvant être armés était malheureusement limité en raison du manque d'hommes et de matériel. Parmi les navires armés, mentionnons le Signe, le Caesar, le Cantabre et le Saint-Charles. Afin de protéger l'industrie de la pêche et le commerce de l'Isle Royale contre toute attaque de corsaires au service des Anglais, les autorités de Louisbourg firent armer le Success, affecté à la surveillance des côtes.

Au début des hostilités, les Français, qui avaient eu l'avantage d'apprendre les premiers la déclaration de la guerre, remportèrent plusieurs succès de suite. Le Signe, qui n'était équipé que de fusils, réussit à s'emparer de sept petits bateaux de pêche de la Nouvelle-Angleterre dans la région des bancs au début de juin. Si les Français ne connurent que des victoires jusqu'au début de juillet, le nombre nettement supérieur des Anglais et des soldats de la Nouvelle-Angleterre finit par jouer contre eux. Même si l'arrivée à Louisbourg des navires pris par les corsaires donnait encore, à la mi-juillet, l'illusion d'une victoire française, les troupes ennemies prenaient le dessus. La capture du Cantabre au large du cap Cod, le 4 juillet, fut un tournant décisif de cette campagne.

À la fin d'août, la situation était renversée, et Louisbourg commençait à sentir les effets du blocus imposé par les navires de guerre et les corsaires anglais croisant au large et le long des côtes. Le commerce étant perturbé, on pouvait craindre de nouveau une pénurie de vivres. L'arrivée des prisonniers anglais de Canso, des navires capturés et des équipages nombreux des bâtiments de la Compagnie des Indes ne fit qu'aggraver la situation.

 

Liste des prix des importations en 1737

1 paire de bottes de pêcheur 15 livres

1 quintal de biscuits 16 livres

1 quintal de beurre 50 livres

1 quintal de bougies 60 livres

1 pantalon de lin 3 livres 10 sols

1 livre de chocolat 3 livres

1 aune de dentelle 3 livres

1 couverture de laine ordinaire 12 livres

1 fusil ordinaire 25 livres

1 quintal de farine 16 livres

1 quintal de fromage 60 livres

1 livre d'étain 36 sols

1 fauteuil fini 80 livres

1 quintal de jambon 60 livres

1 grosse de pipes (douze douzaines) 5 livres

1 barrique de mélasse 50 livres

1 drap 10 livres

1 barrique de pommes 30 livres

1 vache 60 livres

1 poulet 1 livre 5 sols

1 cochon 24 livres

1 saumon fumé 45 sols

1 agneau 6 livres

1 paire de gros souliers 4 livres

1 paire de chaussures d'enfant 1 livre

1 chemise ordinaire 3 livres

1 quintal de savon 60 livres

1 bouteille de Bordeaux 1 livre 5 sols

1 esclave noir 300 livres

1 cheval 300 livres

1 paire de chaussures ordinaires 3 livres

 


LES MARCHANDS DE LOUISBOURG

 

Michel Daccarette

A commencé comme habitant-pêcheur; son entreprise commerciale est devenue l'une des plus importantes de l'Isle Royale.

 

Blaise Cassaignolles et Bernard Detcheverry

Ont commencé comme marchands, puis sont devenus propriétaires d'une entreprise de pêche qui employait des pêcheurs.

 

Pierre Martissano

Habitant-pêcheur non loin de Louisbourg, il est devenu agent à la commission et marchand de gros.

 

Jean Bernard

Couvreur qui achetait sur place en gros et revendait au détail.

 

Jean Claparède

Maître-serrurier devenu marchand.

 

Joseph Dallemand

Célibataire originaire de Provence, il vivait et travaillait dans un appartement loué; il s'approvisionnait chez les marchands de gros locaux et auprès des navires en provenance des ports français. Voici quelques-uns des articles de son inventaire : vêtements, tissu, ciseaux, tabatières, couteaux. Sa clientèle se composait, entre autres, du commissaire-ordonnateur, d'administrateurs, d'officiers, de marchands, de tailleurs, de chirurgiens et d'aubergistes. (Moore)

 

Pierre André Carrerot

Marchand, garde-magasin et conseiller siégeant au Conseil supérieur. Né à Bayonne dans le sud-ouest de la France, il épousa Marie-Joseph Cheron quelque temps avant 1726.

 

François Marie Degoutin

Trésorier, né en Acadie. Il épousa Angélique Aubert de la Chenay (morte en 1729), puis, en secondes noces, en 1736, Angélique de la Fosse, de Montréal, qui était la fille d'un notaire du Roi.

 

Guillaume Delort

Plus grand marchand de Louisbourg et beau-père de Barbe Leneuf, soeur de Louis et de Philippe.

 


OBJECTIF D'INTERPRÉTATION

Les quatre grands thèmes ci-dessous, correspondant aux thèmes traditionnels de la forteresse, du port et de la société, ont été approuvés pour le lieu historique national de la Forteresse-de-Louisbourg :

 

Propriété de Leneuf de La Vallière

Le présent résumé s'inspire du guide de B.A. Balcom intitulé The Leneuf de la Valliere Property: A Manual for interpreters, 1992.

 

Contexte

Rien que le nom de la Forteresse-de-Louisbourg reflète le passé militaire de l'endroit. La seule évocation de ce passé n'est cependant pas suffisante, car elle ne tient pas compte de l'industrie de la pêche et des activités commerciales qui sont à l'origine de la fondation de Louisbourg et de la prospérité que devait connaître la colonie.

Bien que la propriété appartenait à une famille de militaires, son interprétation est orientée sur le commerce, afin de brosser un tableau fidèle de l'importante participation de la famille Leneuf aux activités marchandes de Louisbourg pendant presque toute l'histoire de la colonie.

Michel Leneuf de La Vallière fils, officier de la garnison, acheta la propriété en 1736. Après son décès en 1740, nous ne possédons aucun indice nous permettant de savoir dans quelle mesure sa veuve a poursuivi ses activités marchandes. Le fait qu'elle louait une chambre de la maison à un maçon et un magasin à des marchands de vin en 1743, nous laisse présumer que ses activités commerciales étaient réduites.

Alors qu'il était en poste à St. Peters (Port-Toulouse) à la fin des années 1720 et au début des années 1730, Leneuf faisait la traite des fourrures avec les Mi'kmaq, assurait l'approvisionnement en bois de chauffage du poste et pratiquait le commerce le long des côtes. Son fils, Louis, militaire de carrière comme son père, avait également des activités commerciales dans les secteurs de la pêche et de l'agriculture. La fille de Michel, Barbe, épousa un important marchand de Louisbourg, Louis Delort. Un autre fils de Michel, Philippe, pratiqua activement le commerce et fut même corsaire en 1744.

En plus des activités commerciales de la famille Leneuf, les animateurs devraient aussi parler des activités de leurs voisins, les Rodrigue. Bien qu'on ne sache pas si les deux familles se fréquentaient socialement, elles devaient forcément, en tant que voisins, être au courant de leurs activités respectives. La famille

Rodrigue est un excellent exemple de personnes qui venaient s'installer à l'Isle Royale, attirées par les débouchés qu'y offraient la pêche et le commerce.

Enfin, la propriété de Leneuf se prête particulièrement bien à l'évocation des relations entre les Mi'kmaq et les Français, étant donné que la famille a entretenu des liens durables et divers avec le peuple autochtone. Ces relations constituent un excellent matériel tant d'interprétation que d'animation.

 

Les liens de la famille Leneuf

Dans le Louisbourg du XVIIIe siècle, l'utilisation des noms de famille, des titres, des pseudonymes, des surnoms et des noms adoptés en religion pouvait jeter la confusion dans les esprits, et la famille Leneuf illustre parfaitement cette situation.

À la fin des années 1730, Michel, dont le vrai nom était Michel Leneuf de La Vallière de Beaubassin fils, était le plus âgé des Leneuf (communément appelé La Vallière) à Louisbourg. Michel était son nom de baptême, Leneuf son nom de famille et de La Vallière et de Beaubassin les titres de noblesse qui lui avaient été conférés. De Beaubassin était le plus récent titre et avait été accordé au père de Michel en 1676, et confirmé en 1705, juste avant son décès. La mention «fils» indique que Michel portait le même nom que son père.

Les personnes qui avaient un titre de noblesse étaient fières de le porter, même si elles ne connaissaient pas très bien l'origine de ce titre, car il conférait un statut social à celui ou à celle qui s'en prévalait. C'est ainsi que les fils de Michel se prévalurent de trois titres; Louis utilisa de La Vallière, Charles-François et Joseph-Alexandre utilisèrent de la Poterie, accordé à leur arrière-grand-père (Jacques Leneuf de La Vallière, gouverneur de Trois-Rivières), et Philippe ajouta de Beaubassin à son nom.

Dans le présent guide, j'ai adopté l'usage du Dictionary of Canadian Biography concernant la majuscule dans les particules des noms. «La», «Le», «Du» et «Des» ont une majuscule car ils font partie intégrante du nom, mais pas «de». Cet usage diffère de celui qui est adopté dans les signatures des documents de l'époque, puisque Michel fils et Louis écrivaient «De La Vallière» et non «La Vallière» seulement. On trouvera les biographies de Michel père et fils dans le volume deux de l'ouvrage susmentionné, sous «Leneuf».

Les Leneuf disaient descendre d'une famille écossaise noble, dont certains membres s'étaient installés à Cherbourg, en France, en 1382. Ce sont des membres de cette famille qui ont émigré à Trois-Rivières au XVIIe siècle. La famille s'est d'abord fait connaître dans la colonie grâce à Jacques, fils de Michel père, qui furent tous deux gouverneurs, respectivement, de Trois-Rivières et d'Acadie.

Comme on peut s'y attendre, les La Vallière tissèrent des liens par mariage avec la société de Louisbourg. Michel père avait épousé la fille unique de Nicholas Denys, faisant de Louis, Philippe et de leurs autres frères et soeurs les arrière-petits-enfants de ce personnage du Cap-Breton bien connu au début de la colonisation. Parmi les liens tissés plus récemment, retenons le mariage de Louis à Marie-Charlotte de Souvigny, fille d'un capitaine de la garnison; le mariage de Barbe à Louis Delort, marchand prospère, et le mariage de Philippe à Marie-Charlotte Daccarette, fille d'un marchand.

 

Le ménage Leneuf en 1744

Nous ne savons malheureusement pas qui vivait dans la maison de la famille Leneuf de La Vallière en 1744. Dix ans plus tôt, le ménage Leneuf se composait de cinq garçons de plus de 15 ans et d'un garçon plus jeune, de six filles et de deux domestiques, soit de 16 personnes avec les parents. En 1739, Leneuf avait sept fils et cherchaient à les faire affecter dans les autres colonies. En 1744, Michel fils était mort et plusieurs de ses enfants, dont Louis, Barbe et Philippe étaient mariés. Une autres de ses filles, Marie-Anne épousa Guillaume LaButte Frérot le 4 octobre 1744.

D'après les conclusions d' A.J.B. Johnston, Louis Leneuf de La Vallière vivait déjà dans la maison avant le décès de son père en 1740, et continua certainement d'y habiter en tant que chef de famille. Le ménage devait donc se composer de son épouse, Charlotte Rousseau de Souvigny (fille d'un capitaine de compagnie qui prit sa retraite en avril 1744) et qui était enceinte, de leur fille d'un an et demi, de la mère de Louis, Renée Bertrand, veuve, de plusieurs frères et soeurs, et des domestiques qui étaient au service de la famille à cette époque.

 

Activités commerciales de Philippe Leneuf de Beaubassin

Comme son père et son frère, Philippe a d'abord entrepris une carrière militaire. Il est entré dans les Compagnies franches de la Marine et fut promu enseigne

en second en 1730. Découragé par les piètres possibilités d'avancement, il mit fin à sa carrière militaire en 1741.

Il s'est alors lancé dans le commerce. En 1744, il était capitaine du corsaire Caesar. Au début de juin de la même année, il conclut avec un autre capitaine de corsaire, Joannis-Galand d'Olobaratz, un accord d'un mois de partage égal des profits de la course. Les deux navires naviguaient ensemble en juin, mais furent séparés; le navire d'Olobaratz fut capturé. De son côté, Beaubassin réussit à s'emparer de trois navires de la Nouvelle-Angleterre au large du cap Cod, au début de juillet. Les trois navires ennemis arrivèrent sains et saufs au port au milieu du mois.

En 1743, Beaubassin épousa Marie-Charlotte, fille aînée du marchand Michel Daccarette, et il y a de fortes chances qu'il se soit mis à faire des affaires avec son beau-père. À La Rochelle, en 1747, il s'est associé avec Blaise Lagoanère et Jean-Baptiste Dupleix Silvain (beau-fils et neveu de Michel Daccarette). Les trois hommes étaient héritiers de Michel Daccarette, et le motif de

l'association semblait être la reprise de son affaire. L'association fut conclue à Louisbourg en octobre 1749, et devait se poursuivre dans les secteurs de la pêche et du commerce jusqu'à la seconde occupation française. Dupleix Silvain et Beaubassin étaient les associés les plus actifs.

 

Activités commerciales de Michel Leneuf de La Vallière fils

Michel fils fit surtout une carrière militaire, plus particulièrement active à Terre-Neuve, en Acadie et au Québec au début du XVIIIe siècle. Il fut promu lieutenant le 5 mars 1713 à Plaisance, et figure au nombre des signataires de la prise de contrôle officielle par la France du futur emplacement de Louisbourg le 2 septembre de la même année. Il s'était fait, plus tôt, de nombreuses relations dans la région de St. Peters (Port-Toulouse).

En 1730, les habitants de St. Peters se plaignirent que Leneuf détenait le monopole de l'économie locale dans plusieurs secteurs, et notamment l'approvisionnement en bois de chauffage, le commerce le long des côtes, les importations d'Angleterre et la traite des fourrures avec les Mi'kmaq. Le gouverneur Saint-Ovide mena une enquête à la suite du dépôt de ces plaintes, et conclut que c'était le missionnaire de St. Peters qui avait poussé les habitants à se plaindre; il attribua un autre motif aux plaintes et les trouva donc non fondées en ne manquant pas d'insister sur les bonnes relations que La Vallière entretenait avec les Mi'kmaq.

Comme Saint-Ovide n'a jamais vraiment étudié ces plaintes, il est difficile de savoir dans quelle mesure elles étaient fondées. Il est cependant évident que La Vallière, à l'instar d'un certain nombre d'autres officiers, pratiquait le commerce et qu'il profitait certainement de façon abusive des possibilités d'affaires que lui offrait son poste. Nous ne savons pas quelle était, à cette époque, l'importance des activités commerciales de Leneuf, mais on peut présumer qu'il en a tenu compte lorsqu'il a acheté la propriété de l'Îlot 16 qui comprenait deux magasins.

Michel Leneuf de La Vallière fils mourut en 1740. Nous ne possédons aucun indice réel prouvant que sa veuve, Renée Bertrand, poursuivit ses activités commerciales. Le fait qu'elle louait une chambre de la maison à un maçon et un magasin à des marchands de vin en 1743, nous laisse présumer que ses activités commerciales étaient réduites.

 

Activités commerciales de Louis Leneuf de La Vallière

Comme son père, Louis Leneuf de La Vallière suivit une carrière militaire. En 1725, il entra dans la marine comme cadet, puis fut promu enseigne en second en 1730, enseigne en pied en 1736, et lieutenant en 1743. Il participa aux expéditions contre Canso et Annapolis Royal en 1744, et commandait la Compagnie Duvivier postée au bastion Maurepas pendant le premier siège de Louisbourg.

Il se pourrait que Louis, malgré son penchant pour la vie militaire, ait investi dans les opérations commerciales de son plus jeune frère Philippe. Il est cependant certain qu'il avait ses propres affaires, puisque, plus tard dans sa vie, il fit le résumé de ses pertes à la suite de la chute de la Nouvelle-France dans une lettre adressée à de Sartine, ministre de la Marine. Parmi ces pertes, on compte la seigneurie de Beaubassin, où vivaient 300 familles prospères; quatre maisons et un magasin à étage tout «en charpente»; deux magasins à étage en pierre et deux forges, le tout situé à Louisbourg; une maison et une grange de 130 pieds de long pouvant abriter un troupeau de cent bêtes, à Mira, et quatre cabanes et deux chaffauds pour la pêche, à Gabarus. Bien que ces pertes puissent être exagérées, comme d'autres allégations semblables, elles montrent cependant que Louis Leneuf avait d'autres activités importantes et diverses en dehors de la vie militaire.

 

Liens de Barbe Leneuf de La Vallière avec la communauté marchande

Barbe Leneuf de La Vallière se maria deux fois; elle épousa, en premières noces, Louis Delort le 2 février 1739, et, en secondes noces, Gabriel Rousseau de Villejouin le 30 décembre 1753. Son premier mari, marchand prospère , était le fils de Guillaume Delort, l'un des marchands les plus riches de Louisbourg. Les Delort s'occupaient à la fois de commerce et de transport maritime.

Si son premier mariage avait assuré sa fortune, sa seconde union devait lui permettre de garder son statut social élevé. Villejouin avait été nommé aide-major à Louisbourg en 1739, avec le grade de capitaine, avant d'y assumer le commandement de sa propre compagnie en 1741. Il commanda le détachement de St. Peters en 1751-1752, puis fut major de l'Isle Saint-Jean de 1754 jusqu'à ce que les Anglais le forcent à évacuer en 1758.

 

La propriété de Leneuf de La Vallière

1720

La parcelle D située dans le coin nord-ouest de l'Îlot 16, à l'angle des rues Toulouse et Royale, est cédée à un capitaine de la garnison, Jacques de Pensens.

 

1722

De Pensens construit une maison et un magasin dans le coin nord-ouest de la parcelle.

 

1724

De Pensens construit un deuxième magasin en pierre plus petit dans le coin nord-est de la parcelle. Le mur du bâtiment situé à l'est sert de mur de soutènement de la maison à ossature en bois construite sur la propriété voisine, qui appartient d'abord à Daillebout, puis à Loppinot.

 

1725

De Pensens loue sa maison (sans doute la maison de l'Îlot 16) au gouverneur Saint-Ovide.

 

1725

De Pensens se plaint qu'une partie de sa concession a été donnée à Antoine Paris, à qui on a attribué le secteur sud-est de l'Îlot 16 cette même année. On n'en sait pas davantage sur cette dispute.

 

1736

Michel Leneuf de La Vallière achète la parcelle D à de Pensens. Ce dernier déménage sur la parcelle E voisine (propriété de La Plagne).

 

1745

Les soldats de la Nouvelle-Angleterre réparent complètement le magasin et en font un magasin public de vivres. Ils construisent également une maison de maître-charpentier entre les deux magasins donnant sur la rue Royale, et un atelier de menuiserie derrière le petit magasin de pierre.

 

1767

La maison et les deux magasins sont listés comme vacants.

 

1768

La maison et le magasin attenant sont listés en «mauvais» état, ce qui veut dire que «la plupart des planchers, des murs intérieurs et des fenêtres ont servi de bois de chauffage».

 


PARCELLE

Famille Leneuf de La Vallière

"c" (circa) in English means : "vers" in French

n = naissance

m = mariage

d = décès

Les relations entre les Français et les Mi'kmaq

On remarquera la graphie de «Mi'kmaq», qui demeure
invariable en tant que nom propre et adjectif, et prend une
majuscule lorsqu'il s'agit du peuple.

Pendant la première moitié du XVIIIe siècle, c'était surtout dans la région de St. Peters (Port-Toulouse) qu'avaient lieu les contacts entre les Français et les Mi'kmaq au Cap-Breton, mais comme les Autochtones se déplaçaient partout dans l'île, ils rencontraient en fait les Français dans de nombreux endroits, et notamment à Louisbourg. Les relations que les deux peuples entretenaient était d'ordre économique, politique, religieux et social.

Les liens que la famille Leneuf de La Vallière avait établis avec les Mi'kmaq permettent justement l'interprétation de ces différents types de relations. Par extrapolation, la maison des Leneuf constitue un milieu propice à cette interprétation et offre même des possibilités d'animation de l'histoire mi'kmaq. Il serait judicieux, pour cette interprétation, d'acquérir et d'exposer un objet représentatif de la culture mi'kmaq (boîte brodée en piquants de porc-épic, etc.).

 

Relations politiques

Les Français attachaient une grande importance à l'alliance qu'ils avaient conclue avec les Mi'kmaq, car, non seulement, elle éliminait la menace à la colonisation que constituaient les Autochtones, mais elle mettait un frein à l'expansion britannique. Cette alliance se renouvelait au cours des cérémonies annuelles d'échange de cadeaux, qui se déroulaient non loin de St. Peters et de Charlottetown. Michel Leneuf de La Vallière devait être un habitué de ce rituel aux deux endroits.

En 1713, le lieutenant Michel Leneuf de La Vallière était au nombre des officiers des Compagnies franches de la Marine de Plaisance qui prirent possession de l'Isle Royale au nom de la France. Deux ans plus tard, il était très actif dans la petite communauté acadienne de St. Peters. En 1720, il fut nommé aide-major et reçu le grade de capitaine. En 1727, il fut nommé commandant de St. Peters, poste qu'il occupa jusqu'en 1732, remplaçant à l'occasion Jacques de Pensens, commandant de l'Isle Saint-Jean.

Pour faciliter leurs relations avec les Mi'kmaq, les autorités françaises maintenaient certains services, dont ceux d'un ou de deux interprètes. Leneuf, qui devait penser à l'avenir de ses sept fils, trouvaient fort intéressants les débouchés qu'offrait cette alliance. En 1735-1736, deux de ses fils cadets passèrent l'hiver avec l'abbé Maillard à Malagawatch pour apprendre le mi'kmaq. Le Ministre approuva même cette démarche dans sa correspondance officielle.

 

Relations militaires

Les Français s'étaient alliés aux Mi'kmaq essentiellement pour des raisons de stratégie militaire; ils espéraient que les Autochtones pourraient freiner l'expansion britannique dans la partie continentale de la Nouvelle-Écosse. En temps de paix, ils ne pouvaient pas encourager ouvertement leurs alliés à intervenir, mais en temps de guerre, ils étaient plus directs. Deux La Vallière participèrent à des opérations militaires avec les Mi'kmaq en 1744-1745.

En mai 1744, Louis Leneuf de La Vallière participa à l'expédition contre Canso. Au cours d'une opération militaire préparatoire, il fut chargé de reconnaître le port dans un canot en écorce, en compagnie de deux Mi'kmaq, et de signaler la présence de tout navire armé. Les éclaireurs repérèrent un corsaire et trois navires marchands dont ils signalèrent la présence. Au cours de l'attaque qui suivit le lendemain, Leneuf embarqua dans une chaloupe avec seize Mi'kmaq pour aller s'emparer d'une goélette armée, qu'il amena à Louisbourg. Plus tard dans l'année, Leneuf accompagna le capitaine Michel DeGannes à Annapolis Royal, où les Mi'kmaq prêtaient main-forte aux Français qui attaquaient le fort anglais.

Au cours du premier siège, en 1745, Philippe Leneuf de Beaubassin dirigea une expédition de cent hommes envoyée pour surveiller les activités des soldats de la Nouvelle-Angleterre à la pointe du phare, et mettre le feu aux vivres qu'ils avaient entreposés pour le siège non loin de leur campement principal. Les hommes de Beaubassin, qui n'étaient pas parvenus à brûler les vivres, essayèrent de regagner la forteresse après une dizaine de jours. Le 8 juin, pendant qu'ils attendaient la tombée de la nuit à Petite-Lorraine afin de pouvoir forcer le blocus naval en chaloupe, les Français furent rejoints par 77 Mi'kmaq commandés par les chefs René et Petit-Jean. Au cours du combat qui suivit contre une importante patrouille de reconnaissance composée de soldats de la Nouvelle-Angleterre, Beaubassin prit le commandement des Mi'kmaq après que René fut blessé. Beaubassin fut lui-même blessé à la jambe, et les Français et les Mi'kmaq décidèrent de se retrancher vers la tombée de la nuit. Beaubassin, René et une douzaine de Français réussirent, la nuit suivante, à se rendre en chaloupe jusqu'à la ville et à y entrer.

 

Relations économiques

La traite des fourrures n'était pas une activité importante à l'Isle Royale, contrairement au Canada. En 1737, on produisait de la morue séchée pour une valeur de 1 389 380 livres, tandis que les importations et les exportations de pelleteries représentaient respectivement 6 302 et 3 077 livres. Même si les valeurs concernant les fourrures étaient sous-estimées, il est évident que la pêche était le principal secteur économique de la colonie.

Bien que la traite des fourrures ne faisait pas grande concurrence à la pêche, certains marchands de Louisbourg la pratiquaient.

L'inventaire d'un voisin de La Vallière, Julien Fizel, dressé en 1757, donne un aperçu de l'importance et de la nature des activités de traite des fourrures. On peut y lire ce qui suit :

411 martres  @ 2 livres (822 livres)

93 loutres @ 4 livres (423 1, 3 s)

6 renards argentés           @ 8 livres (48 livres)

80 renards rouges et croisés @ 21/5 s (182 livres)

6 loups-cerviers @ 5 livres (30 livres)

12 chats-cerviers @ 21/15 s (33 livres)

1 carcajou @ 3 livres (3 livres)

192 livres de castor @ 21/15 s (528 livres)

 

Les experts-estimateurs qui ont dressé l'inventaire se sont renseignés auprès de deux marchands de pelleteries pour connaître le cours des fourrures, ce qui prouve qu'estimer des fourrures n'était pas une tâche courante dans la communauté marchande de Louisbourg, mais qu'il était possible de le faire.

Michel Leneuf de La Vallière pratiquait la traite des fourrures à St. Peters à la fin des années 1720 et au début des années 1730. Il est fort possible que ses fils, et plus particulièrement Philippe, aient continué ce commerce, mais à plus petite échelle.

 

Les relations religieuses

Tout séparait les Français et les Mi'kmaq : la langue, le mode de vie et la culture; la religion catholique permettait donc d'établir un lien important entre les deux peuples. Michel Leneuf de La Vallière fit personnellement l'expérience de la force de ce lien, lorsqu'il était commandant à St. Peters vers 1730. Il fut malade pendant quatre à cinq mois, et les chefs mi'kmaq, qui craignaient pour sa vie, firent dire des messes pour sa guérison. Ce geste montre à quel point les relations entre Leneuf et les Mi'kmaq étaient bonnes à cette époque, et la haute estime dans laquelle les Autochtones tenaient Leneuf.

 

Les relations sociales

Un certain nombre de facteurs, et notamment la langue et la culture, limitaient les contacts que pouvaient avoir les Français et les Mi'kmaq. Les documents de l'époque ne permettent pas, malheureusement, de connaître l'étendue des relations sociales entretenues par les deux peuples.

Ils font cependant mention de quelques occasions où il y a eu établissement et entretien de relations sociales entre des membres des deux groupes. L'abbé Maillard a indiqué qu'un Mi'kmaq, qui comprenait le français, avait séjourné un certain temps dans la maison d'un bourgeois de Louisbourg. Ce Mi'kmaq assistait aux réunions de famille le soir, au cours desquelles le père faisait la lecture. De même, le Mi'kmaq François N8gin'tok (prononcer Ne-wha-gin-tuk, et, oui, la graphie est correcte!) a raconté à Maillard que, alors que lui-même et plusieurs autres Mi'kmaq rendaient visite à Mme Saint-Martin, chez elle à Petit-Degrat, un Anglais, dont on a découvert plus tard qu'il s'agissait d'Edward How, est entré dans la maison et a commencé à faire des remarques blessantes sur l'attachement des Mi'kmaq à la Vierge Marie. Un des Mi'kmaq voulait poignarder How pour se venger, mais le père de N8gin'tok l'en dissuada. C'était par amitié pour Mme Saint-Martin, et non parce qu'il se souciait de How, que le vieux Mi'kmaq a agi ainsi.

Les La Vallière entretenaient des liens personnels avec les Mi'kmaq. C'est ainsi que, lorsque Michel Leneuf de La Vallière tomba malade à St. Peters vers 1730, les chefs mi'kmaq lui rendirent visite. Son fils, Philippe, devait connaître et comprendre le peuple mi'kmaq, car, en parlant du rôle de Beaubassin dans le combat de Petite-Lorraine, l'abbé Maillard expliquait que ce dernier savait comment se comporter avec les Mi'kmaq et pouvait donc les influencer. Vu le commentaire de l'abbé Maillard et sachant qu'il voulait que ses enfants apprennent le mi'kmaq, on peut supposer que Beaubassin parlait lui-même mi'kmaq.

La famille Leneuf avait également des liens avec les Mi'kmaq par la famille Denys. Nicholas Denys de Fronsac, cousin germain de Michel Leneuf de La Vallière fils, et petit-fils de Nicholas Denys, épousa une Amérindienne, très certainement une Mi'kmaq. Leurs trois enfants étaient donc les petits-cousins de Louis, de Philippe, de Barbe et des autres enfants Leneuf. Malheureusement, Denys de Fronsac et toute sa famille seraient morts en 1732.


ANNEXE A

Extraits de : The Other Louisbourg

Trade and Merchant Enterprise in Ile Royale 1713-58

De Christopher Moore

 

L'Isle Royale joua un rôle prépondérant dans l'essor que connut le commerce maritime français après la signature du traité d'Utrecht. Quelques années seulement après sa fondation en 1713, la nouvelle colonie produisait et exportait de la morue pour une valeur trois fois supérieure à ce que représentaient les exportations annuelles de pelleteries au Canada, et ce bien que l'Isle Royale n'ait été qu'une des régions où les flottilles de pêche françaises exploitaient la morue.

Les modes d'établissement et de recrutement de la main-d'oeuvre imposés par l'industrie de la pêche empêchaient l'établissement d'autres industries et freinaient le développement de l'agriculture de subsistance. La France envoyait de la nourriture conservée, du vin, du matériel de pêche, du tissu et toute une gamme de produits fabriqués en Europe en échange de morue, dont la majorité était vendue en Espagne et dans les pays méditerranéens. Les Antilles envoyaient du rhum et des produits à base de sucre, et achetaient de la morue, du bétail et du matériel de construction. Le Canada exportait dans la colonie du blé, des légumes secs et un peu de tabac, et achetait des marchandises en provenance de France et des Antilles. Les colonies anglaises, plus particulièrement le Massachusetts, envoyaient des produits alimentaires frais, d'importantes quantités de bois d'oeuvre et des briques, ainsi que plusieurs navires chaque année, en échange de rhum et de mélasse. L'Acadie vendait ses pelleteries, son poisson, son bétail et son blé à Louisbourg et achetait des articles de quincaillerie venant d'Europe. Ce type de commerce diversifié, fondé sur le transbordement et l'échange de la morue locale contre des marchandises importées, était bien établi à l'Isle Royale en 1720.

En 1737, 130 navires marchands accostèrent à l'Isle Royale, la plupart dans le port de Louisbourg, dans le cadre des échanges commerciaux avec la France, les Antilles, la Nouvelle-Angleterre, le Canada et l'Acadie. D'une capacité de transport combinée supérieure à 7 500 tonneaux, ces navires ont apporté pour

1 418 680 livres de marchandises. La majorité de ces dernières, soit

1 022 600 livres ou 72 p. cent de toutes les importations, ont été transportées par les 51 navires en provenance de France. Le deuxième importateur de marchandises était les Antilles françaises - Grenade, Martinique, Guadeloupe et Saint-Domingue -, dont les 19 navires transportèrent pour 247 050 livres de marchandises, soit 17 p. cent de toutes les importations. Les trois autres partenaires commerciaux venaient loin derrière. Les colonies anglaises ont envoyé pour 103 000 livres de marchandises, soit 7 p. cent des importations. Le Canada et l'Acadie ont expédié à eux deux 4 p. cent du total des importations à l'Isle Royale, avec des ventes de 23 850 livres et de 22 990 livres, respectivement. Il faut considérer comme exceptionnel le faible pourcentage des ventes du Canada en 1737, qui avait connu une très mauvaise récolte cette année-là. Pendant les années 1720 et 1730, l'Isle Royale avait énormément dépendu des importations de blé et de farine du Canada, principal fournisseur de la colonie pour ce qui était de ces produits. Prévenue que le Canada ne serait plus en mesure d'approvisionner la colonie en 1757, l'Isle Royale commença à importer du blé et de la farine de France et de Nouvelle-Angleterre. Elle fit venir pour au moins 100 000 livres de ces produits de France et pour environ 25 000 livres de Nouvelle-Angleterre, en vue de compenser les 150 000 livres et quelques de blé et de farine que le Canada fournissait auparavant chaque année. Voilà qui explique pourquoi les importations de France et de Nouvelle-Angleterre étaient particulièrement importantes en 1737, tandis que les ventes du Canada étaient en baisse par rapport aux années précédentes. En comparant les chiffres de 1737 avec les données incomplètes des années précédentes, on constate que, si le Canada avait pu envoyer cette année-là les quantités habituelles de blé, ses produits auraient représenté 10 p. cent des importations totales de l'Isle Royale.

Les exportations depuis l'Isle Royale ne sont pas consignées de façon aussi précise. Les navires en provenance d'Europe ont transporté pour 1 082 400 livres de marchandises, dont 147 000 livres ont été achetées par des navires des Antilles, et 72 000 par des navires canadiens, mais les destinations de ces navires ne sont pas indiquées. Pour ce qui est de la plupart des exportations consignées, celles de morue étaient les plus importantes, et représentaient

1 448 000 livres pour un total de 1 459 500 livres. Malheureusement, on a omis de consigner les exportations vers la Nouvelle-Angleterre et l'Acadie en 1737. Les exportations de sucre, de rhum et d'autres produits en provenance des Antilles, et qui n'ont pas été inscrites, étaient parmi les plus importantes vers la Nouvelle-Angleterre. À en juger par la quantité de ces produits importés, le volume de marchandises transportées entre l'Isle Royale et la Nouvelle-Angleterre, et les achats effectués par ce partenaire au cours des années

précédentes, on peut penser que la valeur des exportations vers la Nouvelle-Angleterre et l'Acadie devait approcher les 200 000 livres en 1737.

Le volume des échanges commerciaux en 1737 à l'Isle Royale était tel qu'il en faisait l'une des colonies les plus axées sur le commerce du continent. La colonie expédiait en effet des marchandises pour une valeur presque égale à celle du Canada, avec une population équivalant seulement à un neuvième de celle de cette région plus ancienne. En conséquence, ses revenus des ventes à l'exportation correspondaient à environ 370 livres par colon en 1737, comparativement à quelque 40 livres par colon au Canada. De toutes les colonies nord-américaines au XVIIIe siècle, seule Terre-Neuve avait des revenus de ventes à l'exportation par habitant comparables ou supérieurs à ceux de l'Isle Royale, ce qui ne voulait pas dire que cette dernière était la plus riche des colonies, puisqu'elle ne produisait pour ainsi dire rien d'autre que de la morue et devait importer presque tout ce qu'elle consommait. Ces données par habitant montrent surtout l'importance du commerce à l'Isle Royale, dont l'économie et la société dépendaient essentiellement des échanges avec l'extérieur.

Pour ce qui est des activités marchandes, les habitants de l'Isle Royale devaient faire concurrence aux marchands de passage, mais leur part du marché était grande. Au début de la colonisation, certaines compagnies françaises faisaient tant d'affaires avec la colonie qu'elles crurent bon d'y placer un employé ou d'y avoir un associé. Elles s'occupaient surtout du transport des marchandises jusqu'à Louisbourg, où le capitaine du navire ou le directeur de cargaison se chargeait de la vente en gros.

Au début, certains marchands ne se contentèrent pas que d'approvisionner les habitants-pêcheurs en matériel ou de vendre leurs prises, mais se lancèrent eux-mêmes dans l'industrie de la pêche. En 1724, les marchands possédant une entreprise de pêche ne constituaient que 12 p. cent de tous les propriétaires, mais avaient suffisamment de pêcheurs et de bateaux pour capturer 20 p. cent des prises de tous les pêcheurs résidents de l'île. En 1734, vingt-cinq marchands, soit 24 p. cent de tous les propriétaires d'entreprise de pêche, pouvaient capturer 37 p. cent des prises de tous les pêcheurs résidents. Les marchands, qui exploitaient des entreprises de pêche plus grandes que la moyenne, étaient certains de ne jamais manquer de morue, et pouvaient élargir leurs activités en approvisionnant en matériel les habitants-pêcheurs aux entreprises plus petites et moins diversifiées, et en achetant leurs prises. Ils exploitaient également les débouchés qu'offraient l'approvisionnement du gouvernement, la fourniture de navires, le commerce de détail et la vente de marchandises à la commission.

Outre la pêche et le commerce de gros, le troisième secteur commercial de l'Isle Royale était le transport maritime. Pendant le premier quart de siècle, c'étaient les habitants de l'île qui détenaient la plus petite part de ce secteur; ils étaient pourtant les plus actifs, surtout les marchands, sur le marché florissant des navires de commerce de Louisbourg, achetant presque autant de navires qu'ils en vendaient; ils achetaient des navires à la Nouvelle-Angleterre pour les revendre ensuite à la France et aux Antilles. Même si un petit nombre des navires appartenant aux marchands de Louisbourg faisaient du commerce avec Québec, les Antilles et même l'Europe, ils servaient surtout à la pêche et au commerce le long des côtes.

L'approvisionnement de la colonie et l'exportation de sa morue étaient assurés par les navires de l'extérieur, car la flotte commerciale locale était de petite taille. C'était en contrôlant le système de transport que les négociants de l'extérieur pouvaient le plus influer sur le commerce de l'Isle Royale. Étant donné que la majorité des navires et des cargaisons arrivant à Louisbourg appartenaient à des négociants de l'extérieur, les visiteurs faisaient concurrence aux marchands dans le secteur local de la pêche et sur les autres marchés coloniaux, tirant profit à la fois des frais de transport et des revenus des ventes. Les marchands de Louisbourg réussirent cependant à se tailler une place en achetant des parts dans les cargaisons ou encore des cargaisons entières, en agissant en qualité d'agents locaux à la commission touchant de 5 à 8 p. cent du montant de la vente des cargaisons ou de leur achat aux propriétaires de navires de l'extérieur. Les commissions constituaient rarement le seul revenu d'un marchand, car il était pratique courante entre marchands d'accepter de vendre des marchandises en consignation et de payer des commissions sur la vente de ses propres marchandises consignées. À Louisbourg, l'un des moyens les plus sûrs et les plus répandus d'établir cette pratique consistait à passer par les marchands locaux qui s'occupaient de pêche, de commerce de gros et même de transport maritime. On comprenait rarement qu'il existait en fait une relation employeur-employé entre un marchand local et les négociants d'outre-atlantique avec qui il faisait des affaires.

En 1737, l'industrie de la pêche, le commerce de gros et de détail ainsi que le transport maritime faisaient vivre presque une cinquantaine de marchands à Louisbourg. La plupart d'entre eux connaissaient la comptabilité et possédaient des compétences administratives. Les plus grosses entreprises de pêche appartenant à des marchands pouvaient produire pour 100 000 livres de morue chaque année, auxquels venaient s'ajouter les revenus tirés des autres activités commerciales. Un marchand gérait normalement pour quelque 100 000 livres de marchandises en consignation, pour la vente desquelles il touchait une commission, et plusieurs compagnies devaient faire un bénéfice net d'au moins cette valeur. Même une petite marge bénéficiaire aurait sans doute donné à ces marchands un revenu non négligeable, bien qu'on ne dispose que des données incomplètes sur le volume des transactions et la richesse de la communauté marchande.

L'importance du rôle des marchands et de leurs activités était reconnue dans la colonie. Le gouvernement de l'Isle Royale, pourtant important en taille et influant, entravait rarement les activités commerciales en imposant des restrictions d'ordre légal ou administratif. Ainsi, une fois qu'il est devenu évident que le commerce avec les colonies anglaises était une solution pratique, le gouvernement de l'Isle Royale a obtenu une exemption royale à l'interdiction de faire du commerce avec l'étranger imposée aux colonies françaises. Il y avait bien toujours certaines restrictions, mais, en général, la colonie pouvait faire ouvertement et en toute légalité du commerce avec l'étranger, et ses activités commerciales pouvaient être consignées dans les rapports de commerce officiels.

Pendant le premier quart de siècle de sa croissance, l'Isle Royale bénéficia, malgré quelques écueils, d'une activité commerciale généralement stable, qui faisait vivre une communauté marchande prospère. Peu après 1737, le commerce maritime commença à se détériorer, ce qui plaça la colonie, et partant toute son économie, dans une situation difficile.

La mauvaise récolte que connut le Canada en 1736-1737 était un signe avant-coureur des problèmes à venir. Cette catastrophe agricole n'était qu'un revers temporaire, et le Canada reprit ses importantes exportations de produits agricoles en 1739, 1740 et 1741, mais en 1742, il connut une autre mauvaise récolte, et ses exportations de blé cessèrent complètement. Les administrateurs et les marchands de Louisbourg se demandaient si la production de blé canadienne allait reprendre, ou s'il devait chercher de nouvelles sources d'approvisionnement, étant donné que la colonie avait compté sur le blé canadien pendant toutes les années 1730. S'il était encombrant et cher d'importer de la farine d'Europe, il était cependant dangereux de s'approvisionner en Nouvelle-Angleterre, qui pouvait cesser les exportations d'une denrée essentielle en temps de guerre.

À peu près à la même époque, Il devait toutefois se produire une crise plus grave. En cherchant de nouveaux marchés pour la commercialisation de la morue de l'Isle Royale, le nouveau commissaire-ordonnateur, François Bigot, se rendit compte que la guerre entre l'Angleterre et l'Espagne offrait des possibilités fort lucratives aux pêcheurs de la colonie, qui pourraient prendre la place des Anglais sur les marchés espagnols. La guerre qu'il avait espérée fut déclarée cette année-là, mais, malheureusement, la colonie ne put en profiter en raison d'une baisse importante des prises de poisson, baisse qui avait commencé en 1739 pour ne cesser de s'aggraver dans les années 1740. La production, qui était de 152 000 quintaux en 1738, passa à 123 000 quintaux en 1740, puis à 83 000 quintaux en 1742, pour chuter à 69 000 quintaux en 1744. Ce fut surtout la pêche côtière, pratiquée par les pêcheurs résidents, qui fut le plus touchée; leur part des prises totales passa des 76 p. cent habituels en 1738, à 69 p. cent en 1743, et à 64 p. cent en 1744.

Il y a des raisons de croire que cette baisse des prises serait due à la surpêche, car on constate une chute des prises par bateau. Les prises d'été s'élevaient à 260 quintaux par chaloupe en 1739 et passaient à 150 quintaux en 1742, tandis que les prises d'hiver tombèrent de 180 quintaux par chaloupe en1739, ce qui ne s'était jamais vu (110 à 120 quintaux étaient des quantités plus normales), à 90, à 40 puis à 30 quintaux en 1740, 1743 et 1744. Il paraît évident que cette baisse générale des prises aurait été attribuable à une diminution des stocks de poisson, et non à la guerre ou à des facteurs économiques extérieurs. La morue aurait pu également subir des influences d'ordre climatologique et biologique qui pourraient expliquer cette baisse des stocks, mais il est tout aussi plausible que la pêche excessive pratiquée depuis 1713, pendant tout le temps que dura la paix, ait réduit les populations locales de poisson le long des côtes propices au séchage de la morue et dans les secteurs accessibles à la technologie de l'époque. Étant donné qu'on a constaté des baisses semblables dans plusieurs régions particulièrement exploitées le long de la côte atlantique dans les dix ans qui ont suivi la crise qu'a connue l'Isle Royale, la surpêche, qui aurait entraîné une diminution subséquente de tous les stocks, est un phénomène qui a très bien pu toucher l'industrie de la pêche de la morue dans l'Atlantique au milieu du XVIIIe siècle.

Quelles que furent les causes de cette crise des pêches, l'Isle Royale fut sérieusement touchée. Pendant des années, les propriétaires d'entreprise de pêche avaient affirmé que leurs efforts ne rapportaient que des profits négligeables, et les agents du gouvernement semblaient être de leur avis. La diminution des stocks de poisson dans les années 1740 ne devait pas améliorer la situation des habitants-pêcheurs, de leurs employés, et des marchands qui travaillaient dans l'industrie de la pêche, c'est-à-dire de pratiquement toute la population civile de la colonie. Sur le plan économique, au problème de devoir trouver une nouvelle source d'approvisionnement en denrées alimentaires pour

remplacer le Canada venait s'ajouter la menace de la diminution des revenus d'exportation qu'entraînerait une baisse de la production de poisson.

La France devint un partenaire commercial moins important dans les années 1740, peut-être en raison des difficultés qu'éprouvait la colonie sur le plan commercial. L'Isle Royale, qui avait été forcée de s'approvisionner en blé de la Nouvelle-Angleterre à la suite des mauvaises récoltes au Canada, fut obligée d'intensifier ses échanges commerciaux avec les colonies anglaises. Comme elle devait augmenter ses exportations de produits à base de sucre vers la Nouvelle-Angleterre, elle a augmenté ses importations en provenance des Antilles. Elle devait donc, en retour, exporter davantage de morue vers le sud, malgré la baisse de production à laquelle elle était confrontée. Pour pouvoir fournir le poisson nécessaire, on a réorienté les exportations de morue destinées à l'Europe vers les Antilles, et c'est ainsi que la France perdit sa première place parmi les partenaires commerciaux de l'Isle Royale.

La colonie a certainement essayé de maintenir la production de morue nécessaire aux exportations en augmentant ses achats clandestins de poisson à la Nouvelle-Angleterre. Ce commerce avait toujours été strictement interdit et sévèrement réprimé, car il menaçait le gagne-pain des colons, et constituait un obstacle à la formation des marins français. Toujours est-il que les activités de contrebande ont augmenté à cette époque, en raison de la crise locale de la pêche, de l'exclusion provisoire de la Nouvelle-Angleterre de ses marchés espagnols traditionnels, et de l'augmentation des importations de sucre et de rhum des Antilles pour payer les marchandises en provenance de la Nouvelle-Angleterre. Ces activités ne se traduisaient pas directement dans les chiffres, mais en comparant les données des prises de morue avec celles de 1742, le ministre de la Marine constata que les prises étaient descendues à 83 000 quintaux, tandis que les exportations atteignaient presque les 90 000 quintaux. L'importation clandestine de morue n'était pas un moyen bien rentable de compenser le manque de poisson pour la colonie, puisque les exportations totales de morue restaient inférieures à ce qu'elles étaient habituellement. De toute façon, on ne pouvait acheter à la Nouvelle-Angleterre que de la morue en gros pendant que l'Angleterre était en guerre avec l'Espagne et en paix avec la France, ce qui ne devait durer que jusqu'en 1744.

La situation était précaire à l'Isle Royale au cours des années 1740. La colonie traversait une période d'instabilité commerciale, alors que toutes les possibilités de commerce avec les Antilles et la Nouvelle-Angleterre avaient été exploitées, et qu'il n'y avait toujours pas de solution aux problèmes de la baisse de la production de poisson et de l'approvisionnement en produits agricoles. À mesure que le nombre de prises baissait, il devint évident que les excellents résultats commerciaux atteints jusqu'en 1737 ne pourraient jamais se renouveler. Les pénuries alimentaires étaient importantes certaines années, et en 1743, on signalait un manque de devises.

La guerre entre l'Angleterre et la France, déclarée au printemps de 1744, ne fit qu'aggraver la situation économique de la colonie, puisqu'elle mit fin aux échanges commerciaux avec la Nouvelle-Angleterre, rendait les routes de commerce dangereuses, et menaçait l'industrie de la pêche déjà en difficulté et qui devait maintenant craindre les captures. Bien que la course vint remplacer pendant quelque temps le commerce pratiqué en temps de paix, l'invasion et la conquête de l'Isle Royale au printemps de 1745, puis la déportation des colons acheva de ruiner la colonie, déjà menacée dans les années 1740 par une économie en crise.

Après 1749, la France cessa d'être le principal partenaire commercial de l'Isle Royale. Si les importations augmentèrent légèrement par rapport aux chiffres de 1737, les expéditions de morue en direction de l'Europe diminuèrent, entraînant un déficit de la balance commerciale de l'Isle Royale pour ce qui était de ses exportations avec la France. Les importations et les exportations avec les Antilles françaises et la Nouvelle-Angleterre avaient également diminué. L'économie antillaise, essentielle à l'essor commercial de la France à l'étranger au XVIIIe siècle, avait commencé son expansion rapide dans les années 1730. La demande de denrées alimentaires de la part de la Martinique, de Saint-Domingue et des autres îles antillaises augmentait proportionnellement à leur production de sucre et de café. L'Isle Royale, qui accrut ses exportations de morue vers ces îles, peut-être dans les années 1740, mais certainement dans les années 1750, lia ainsi ses activités commerciales au secteur du commerce français à l'étranger qui connaissait l'essor le plus rapide. En 1754, les Antilles étaient devenues un marché presque aussi important pour la morue de l'Isle Royale que l'Europe, achetant pour un demi-million de livres de poisson chaque année. Le commerce avec la Nouvelle-Angleterre a connu un essor à peu près aussi rapide. Principal fournisseur de blé de l'Isle Royale dans les années 1750, la Nouvelle-Angleterre constituait aussi le principal marché d'écoulement des produits du sucre venant des Antilles, lesquels servaient à payer les achats de morue à la colonie. Il s'était ainsi formé un réseau commercial à trois. Via Louisbourg, les Antilles envoyaient des produits à base de sucre aux colonies anglaises; la Nouvelle-Angleterre expédiait des denrées alimentaires et du matériel de construction à l'Isle Royale, qui exportait de la morue aux Antilles. Ces échanges à trois se faisaient depuis la fondation de l'Isle Royale (et avant, à Plaisance), mais ils s'intensifièrent nettement dans les années 1750. Les échanges commerciaux de l'Isle Royale avec les Antilles et la Nouvelle-Angleterre se multiplièrent par cinq entre 1737 et 1754, et dépassaient de très loin les échanges avec la France. Cette augmentation permit à la colonie d'accroître ses activités commerciales en général, à un moment où le commerce avec la France stagnait et où les échanges avec le Canada et l'Acadie diminuaient. Ces échanges ne donnèrent cependant pas à l'Isle Royale un excédent commercial suffisant pour combler le déficit avec la France. La balance commerciale de la colonie était déficitaire dans les années 1750, à cause des niveaux d'exportation peu élevés des années 1730. On signalait toujours un manque de devises, mais il semblerait que les importantes dépenses gouvernementales aient permis d'équilibrer les paiements.

D'importants changements se sont également produits dans l'industrie de la pêche. Jusqu'en 1745, les bateaux de pêche venant de ports basques, bretons et normands s'étaient toujours attribué une part importante des prises de morue de l'Isle Royale. Dans les années 1750, le lien qui existait entre les pêcheurs résidents et migrants fut rompu. Découragés par les piètres prises du début des années 1740, et les années de guerre qui suivirent pendant cette décennie, beaucoup de bateaux de pêche français abandonnèrent la pêche à l'Isle Royale au profit des pêcheurs résidents, qui capturèrent près de 90 p. cent de toutes les prises en 1754. Les pêcheurs résidents se constituèrent leur propre flotte de goélettes, ce qui les aida certainement à étendre leur mainmise sur les pêches dans la région. Jusqu'en 1740, il était rare qu'ils possédaient plus du tiers des goélettes de pêche de l'Isle Royale, et ce pourcentage avait diminué dans les années 1740. Au cours de la décennie suivante cependant, ils possédaient la majorité des goélettes et des chaloupes, et contrôlaient donc les pêches côtière et hauturière. Les prises totales demeuraient inférieures aux niveaux atteints dans les années 1720 et 1730 en raison de la diminution du nombre de pêcheurs migrants, mais le nombre de prises par bateau devait atteindre de nouveau des niveaux acceptables, et les prises totales des pêcheurs résidents recommencèrent à s'approcher des niveaux d'avant la crise des années 1740.

La communauté marchande de Louisbourg s'adapta à ces changements dans les secteurs du commerce et de la pêche. En 1755, on comptait 66 marchands à Louisbourg, dont un grand nombre de marchands d'avant la guerre ou leurs héritiers. Beaucoup tenaient toujours un petit commerce, et quelques-uns travaillaient pour le compte de compagnies françaises qui s'étaient lancées dans de nouvelles affaires outre-atlantique, mais les gros marchands locaux n'avaient jamais joué un rôle aussi important dans l'économie de la colonie. Leur part dans l'industrie de la pêche n'avait surtout jamais été aussi grande. En 1753, 18 marchands ne formaient que 15 p. cent de tous les propriétaires d'entreprise de pêche, mais possédaient 33 p. cent des chaloupes de tous les pêcheurs résidents, et pas moins de 60 p. cent des goélettes. Ces bateaux pouvaient capturer 48 p. cent des prises totales des pêcheurs résidents. Qui plus est, les marchands locaux continuaient à approvisionner le reste de l'industrie de la pêche, la garnison en poste et l'administration dont les besoins ne cessaient d'augmenter, ainsi que les commerçants de gros et de détail. Depuis qu'ils contrôlaient l'approvisionnement en morue et étaient donc assurés d'une place dans les échanges commerciaux à trois qui se développaient entre l'Isle Royale, la Nouvelle-Angleterre et les Antilles, les marchands étaient bien placés pour profiter de l'augmentation de l'ensemble des activités commerciales de la colonie. Une seule chose devait changer chez les marchands de Louisbourg dans les années 1750 : ils se mirent à acheter des navires.

C'était sans doute la mainmise des pêcheurs résidents sur l'industrie de la pêche qui motiva cette décision. Avant la guerre, c'étaient les flottes de pêche françaises qui assuraient le transport dans l'industrie de la pêche. Les pêcheurs dépendaient d'elles pour le transport du sel, du matériel de pêche et des travailleurs saisonniers, ainsi que d'une bonne partie de leurs prises lorsqu'elles retournaient en Europe. Quand le nombre des pêcheurs migrants commença à baisser à l'Isle Royale dans les années 1750, les marchands locaux se mirent à assurer le transport eux-mêmes, sans doute au moyen des goélettes dont ils se servaient pour la pêche hauturière, dans laquelle ils s'étaient lancés. Les Antilles, qui étaient devenues un des principaux marchés d'écoulement de la morue, étaient donc une destination importante, ce qui avait également des répercussions sur le commerce avec la France. Malheureusement, les sources d'information de Louisbourg, si elles fournissaient toutes sortes de renseignements aux entreprises locales qui se constituaient une flotte de navires marchands, ne possédaient pas de statistiques permettant d'évaluer le taux de croissance de cette nouvelle activité commerciale. C'étaient des sources dans des ports français qui avaient suggéré la vigueur avec laquelle les colons devaient se lancer dans l'industrie du transport dans les années 1740, et plus particulièrement dans les années 1750. Les meilleures données venaient de Bayonne et des ports de pêche basques qui envoyaient d'importantes flottes dans la région depuis la fondation de la colonie. De 1713 à 1742, seulement douze navires appartenant à des propriétaires de Louisbourg avaient accosté à Bayonne, à Saint-Jean-de-Luz, à Ciboure et dans les autres ports basques. De 1743 à 1745, treize autres navires de Louisbourg y accostèrent. De 1749 à 1757, le nombre de navires provenant de Louisbourg passa à 92, faisant de ce port le principal fournisseur de navires entre les deux régions.

 Comme la région basque était un marché d'écoulement de la morue et qu'elle fournissait des travailleurs saisonniers dans l'industrie de la pêche, les habitants de l'Isle Royale ont voulu maintenir leur lien avec les Basques lorsque ces derniers ont cessé d'assurer un transport suffisant. D'après des données de Bordeaux, des navires appartenant à des habitants de Louisbourg ont commencé à s'y rendre. On ne relève que neuf navires de Louisbourg ayant mouillé à Bordeaux de 1725 à 1745, mais onze en quatre ans pendant les années 1750. Les navires de Louisbourg n'ont jamais effectué le gros du transport entre l'Isle Royale et Bordeaux, comme ils le faisaient dans le cas des ports basques, mais les données de Bordeaux montrent que les activités de transport avaient augmenté entre la colonie et les grands centres commerciaux ainsi que les ports de pêche.

La reconversion économique de l'Isle Royale dans les années 1750, qui se caractérise par la prise de contrôle par les pêcheurs résidents de l'industrie de la pêche, le développement d'une flotte locale de navires marchands et l'augmentation des échanges commerciaux avec les Antilles, devait être de courte durée. En 1755, la guerre reprenait en mer entre l'Angleterre et la France; en 1758, la conquête de l'Isle Royale et la déportation des colons marquaient la fin de la colonie, cette fois-ci pour toujours. On ne peut cependant se contenter de mesurer la reconversion économique de l'Isle Royale après 1749 que par rapport à sa durée. Le rendement de la colonie peut en effet servir de point de comparaison avec l'expérience économique du Canada à la même époque, et nous en apprendre beaucoup sur le comportement économique de la Nouvelle-France en général.

Au Canada, les industries d'exportation étaient proportionnellement beaucoup moins importantes qu'à l'Isle Royale, et les habitants contrôlaient une part plus faible du secteur des exportations. Comme c'était une entreprise française - la Compagnie des Indes Occidentales - qui détenait le monopole de l'exportation et de la vente des peaux de castor, les Canadiens qui voulaient faire du commerce maritime ne pouvaient qu'exporter le blé excédentaire, un commerce qui prit de l'ampleur de 1713 jusque vers le milieu des années 1730, mais dont la valeur ne devait jamais atteindre celle de la traite des fourrures ou de la pêche. Dans un récent article, James Pritchard affirme que l'effondrement du groupe, petit certes, mais important, des Canadiens qui géraient les importations et les exportations avant le milieu du siècle, est attribuable à la baisse de la production de blé amorcée en 1737. En raison de cette diminution des récoltes, de l'augmentation de la population et de la guerre, le Canada, qui était une région autosuffisante et en pleine expansion sur le plan agricole et commercial, se transforma en une immense forteresse de soldats dépendante de l'extérieur pour sa survie. Les marchands canadiens, qui formaient toujours un petit groupe, mais dépendant désormais des exportations agricoles, furent incapables de s'adapter aux circonstances changeantes. De l'avis de Pritchard, leur effondrement «a effacé toute trace de la présence d'un groupe de marchands locaux dans la société canadienne d'avant la conquête».

Un autre groupe de marchands locaux, en l'occurrence à Louisbourg, traversait une crise à peu près semblable entre 1737 et 1745. Les difficultés d'approvisionnement en denrées alimentaires alliées à une baisse importante de la production de poisson réduisirent la capacité d'exportation de l'Isle Royale; toute la colonie en souffrit, et la situation des marchands locaux s'en trouva menacée. Dans l'île cependant, où c'étaient les habitants qui contrôlaient la principale ressource, c'est-à-dire la morue, les marchands pouvaient plus facilement s'adapter au changement. En augmentant leur mainmise sur l'industrie de la pêche, en se dotant d'une flotte commerciale locale et en exploitant les nouveaux débouchés commerciaux offerts sur le marché des Antilles, les marchands de la colonie semblent avoir réussi à écarter la menace commerciale qui planait sur leur communauté.

L'importance économique de l'Isle Royale a souvent été ignorée, en partie parce que les documents officiels, autres que ceux qui étaient établis à Louisbourg, regroupaient en général l'Isle Royale et le Canada, ce qui rend difficile toute distinction précise entre les deux économies. Les historiens ont adopté la même démarche, considérant l'Isle Royale comme un avant-poste situé non loin de la Nouvelle-France plutôt que comme une société distincte. En étudiant de plus près la situation de l'Isle Royale, on s'aperçoit que cette dernière possédait une solide économie reposant sur un commerce extérieur particulièrement développé et qui faisait vivre une communauté marchande locale influente. La réussite des marchands de Louisbourg pendant la courte existence de l'Isle Royale laisse supposer qu'il était tout à fait possible, dans des conditions économiques favorables, d'accumuler des capitaux et de posséder une affaire axée sur l'entreprise à l'intérieur des structures juridiques et politiques de la Nouvelle-France. Le cas de l'Isle Royale permet de penser que les facteurs économiques, et surtout le fait pour les colons de réussir ou non à dominer une industrie d'exportation de manière à payer leurs importations, ont joué un rôle crucial dans la façon très différente dont la communauté marchande locale et les valeurs commerciales se sont développées au Canada et à l'Isle Royale.


ANNEXE B

Navigation - Notions de base

Définition

«Navigation» s'entend de la science et de la technique du déplacement des navires.

La forme la plus ancienne de navigation consistait à regagner le littoral en se servant d'un objet qui retenait l'attention (arbre, rocher), comme point de repère.

Lorsqu'on a découvert que les objets flottaient sur l'eau, il a fallu apprendre à «piloter» ou diriger les bateaux sur l'eau; ce fut la naissance de la navigation maritime. La navigation astronomique nécessitait des informations sur le mouvement des astres. (Bowdich's Coastal Navigation, Arco, 1977)

 

Techniques de navigation au début du XVIIIe siècle

Navigation à l'estime

Cette technique consistait à apprécier la route vraisemblablement tenue en déterminant la vitesse et le cap au compas, et en apportant des corrections de dérive au vent et au courant.

Vitesse

La vitesse était calculée au moyen d'un «loch», c'est-à-dire d'une planche attachée au bout d'une ligne portant des noeuds. On jetait cette planche à l'avant du bateau, et on mesurait le temps qui lui fallait pour arriver à l'arrière du bateau. Exemple : Si le loch atteignait l'arrière du bateau en 10 secondes, et que la longueur du bateau était de 100 pieds, la vitesse de ce dernier était donc de 600 pieds la minute ou de 36 000 pieds/l'heure, soit en gros de 6,8 milles l'heure. (Allen, The Windjammers, Time-Life, 1978)

 

Compas

Le compas est l'un des plus anciens instruments de navigation. À l'origine, dans sa forme la plus simple, il consistait en une aiguille passée dans une paille et flottant dans un contenant. Au XVe siècle, le compas muni d'une aiguille aimantée pointée vers le nord et attachée à un cardan permet au navigateur de déterminer son cap à quelques degrés près. (Hale, Age of Exploration, Time, 1966)

 

Rose des vents

Il s'agit d'un diagramme étoilé indiquant les principales directions des vents. À l'origine, il y avait huit aires de vents : N, NE, E, SE, SO, O, NO. Il devait, par la suite, y avoir 32 aires de vent : 8 aires principales, 8 moitiés et 16 quarts d'aire. Aujourd'hui, le compas se divise en degrés. Il s'agissait d'une représentation graphique faite avec goût, qui avait souvent la forme d'une fleur à 32 pétales, d'où le nom de «rose des vents».

 

Plomb de sonde

Il s'agissait d'un morceau de plomb, creux et rempli de suif, fixé à l'extrémité d'une ligne pendant librement, et qui servait à sonder la profondeur de l'eau (jusqu'à 200 brasses).

En répétant l'opération plusieurs fois de suite, on pouvait ainsi déterminer si le fond de la mer s'élevait en pente douce vers le littoral, encore invisible du bateau. Le suif servait à recueillir des informations sur le fond marin, informations qui étaient ensuite consignées, car elles pouvaient aider à la navigation au cours de voyages subséquents.

Voici comment on indiquait les brasses sur le plomb de sonde : 2 lanières de cuir correspondaient à 2 brasses, 3 lanières à 3 brasses; un morceau de canevas blanc à 5 brasses; un morceau d'étamine rouge à 7 brasses; un morceau de cuir avec un trou à 10 brasses; un morceau de serge bleu à 13 brasses; un morceau de canevas blanc à 15 brasses; un morceau d'étamine rouge à 17 brasses, et un morceau de linge de maison avec deux noeuds à 20 brasses.

 

Quadrant

Le quadrant servait à déterminer l'altitude du soleil au-dessus de l'horizon, ce qui permettait de calculer la latitude d'un bateau. L'ancêtre du quadrant était l'astrolabe. Les deux instruments servaient à la même chose, mais l'astrolabe obligeait à regarder le soleil directement, ce qui pouvait être pénible. Le premier vrai sextant, plus précis et moins encombrant, fut mis au point vers 1730, mais c'était surtout le quadrant qui était toujours utilisé dans les années 1740.

 

Routiers

Il s'agissait de guides qui contenaient des instructions de navigation, mais aussi des directives aux navigateurs sur les routes maritimes à suivre; des listes de panneaux de signalisation maritime qui permettaient aux bateaux de garder leur cap; des cartes, des observations astronomiques, des rapports de sondage du fond marin, et des vues perspectives.

 

Journal de bord

Dans le journal de bord d'un bateau étaient consignées les informations

suivantes : conditions météorologiques; variations magnétiques; changements de force et de direction des vents; circonstances exceptionnelles; état général du bateau; état de santé et moral de l'équipage; rencontres d'autres bateaux ou de flottes; présence de terres, de hauts-fonds et de brisants, et rapports de sondage du fond marin.

 


 BIBLIOGRAPHIE

Descriptions et articles divers:

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