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Researching the Fortress of Louisbourg National Historic Site of Canada
  Recherche sur la Forteresse-de-Louisbourg Lieu historique national du Canada

AUBERGISTES ET CABARETIERS DE LOUISBOURG
1713 - 1758

PAR

GILLES PROULX

Août, 1972

(Fortress of Louisbourg Report H F 19)

Presently, the illustrations are not included here.
For these, please consult the original report in the archives of the Fortress of Louisbourg

Return/retour - Table of Contents/
Table des Matières

CHAPTRE III: LES INTÉRIEURS DOMESTIQUE

L'aubergiste ou le cabaretier professionel de Louisbourg représente probablement l'un des rares habitants de cette forteresse pour lequel la maison est au centre de la vie. Il y mange, dort et travaille. Les autres habitants, pêcheurs, marchands, soldats et officiels travaillaient, soit à l'extérieur, soit dans des bâtiments spécifiquement réservés a leur commerce ou genre d'activités. Et parce qu'elle est, avec la chapelle des casernes et la place du marché, l'un des rares endroits de rencontre de la population, la maison de l'aubergiste comme du cabaretier est sans doute beaucoup plus riche, plus chargée d'expérience humaine.

Sur un total de soixante quinze foyers, je n'ai pu retrouver que vingt inventaires après décès ou procès de vente des biens d'aubergistes et de cabarétiers. [64] L'analyse de ces inventaires, qui représente un


64 Tous ces inventaires ont été relevés dans les séries de documents suivantes. AN, Col., E, dossiers personnels; AN, Section Outremer, G2, greffe des colonies; AN, Section Outremer, G3, notariat des colonies.

1 - Bergerac, Jean Bourguignon dit. G2, vol. 205, d. 388.
2 - Boisseau, Pierre. G3, vol. 2044, d. 19.
3 - Dastarit, Joannis. G3, vol. 2039-1, d. 66.
4 - Fizel, Julien. G2, vol. 209, d. 508.
5 - Frécan, Jacques. G2, vol. 184, fols. 577-585.
6 - Grandchamps, Julien Auger dit. G2, vol. 197-2, d. 142.
7 - Grandchamps, Thérèse Petit. G2, vol. 202, d. 286.
8 - Herpin, Pierre. G2, vol. 202, d. 277.
9 - Herpin, René. G2, vol. 185, fols. 358-378.
10 - La Chapelle, Henry Nadau dit. G2, vol. 198, d. 171.
11 - La Chaume, Pierre Bonin. G2, vol. 183, fols. 337-365v.
12 - La jeunesse, Philibert Pinau dit. G2, vol. 209, d. 512.
13 - Langot, Nicolas. G2, vol. 194, d. 65.
14 - Larivière, Jean Seigneur dit. G2, vol. 199, d. 197.
15 - Laumonier, Jean. G2, vol. 197-2, d. 147.
16 - Lorant, Pierre. E, 290.
17 - Olivier. G2, vol. 203, d. 366.
18 - Préville, Jean Gayon. G2, vol. 197-2, d. 149.
19 - Richard, Jean. G2, vol. 197-2, d. 141.
20 - Salomon, Louis. G2, vol. 185, fols. 295-323.


échantillonage de 26.6%, permet quand me de donner une image assez réaliste de l'intérieur domestique de l'aubergiste et du cabaretier de Louisbourg. Tous les éléments faisant partie de l'ameublement de leurs maisons ont é regroupés en un tableau de données brutes (tableau no. VIII). Les données chiffrées de ce tableau représentent le nombre d'articles inventoriés ainsi que le total des inventaires dans lesquels on les retrouve. Tous ces éléments ont été subdivisés en sept sections: mobilier, lumière et chaleur, ustensiles de cuisine, récipients, couvert, objets décoratifs et outils. Cette dernière subdivision est assez limitée puisque seuls les instruments pouvant être utilisés à l'intérieur ont été inclus.

Il est assez facile de réaliser en analysant quelque peu ce tableau de données brutes que plusieurs articles de l'ameublement, malgré des appellations différentes et sans doute des formes différentes, servent en fait des fins identiques. Les articles de cuisine servant à la cuisson,
par exemple, entrent assez aisément dans cette catégorie. L'aspect à retenir, le facteur important en effet, est beaucoup moins la forme du contenant que l'utilisation que l'on peut en faire. Dans une tentative d'esquisse d'un ameublement type d'auberge ou de cabaret, tous les éléments du mobilier ont donc été regroupés par affinités (tableau IX). Tous les articles de l'ameublement type se retrouvent dans au moins dix inventaires. Si l'on avait choisi de l'établir à partir des données brutes

Tableau VIII: AMEUBLEMENT DES AUBERGES ET DES CABARETS: DONNES BRUTES
[Editor - Original 1972 H F 19 Table and later MRS 136 Update]

MOBILIER

 

20

USTENSILES DE CUISINE

 

20

     
Armoire 25 15 Boudinière 1 1 Dame-jeanne 2 2
Banc 36 8 Cafetière 15 7 Flasque/flacon/fiole 164 9
Buffet 14 14 Casserole 39 14 Jarre 9 4
Bureau 5 5 Chaudron 7 4 Panier 4 4
Chaise/bois/paille 204 19 Ecumoir 11 9 Pot 71 12
Coffre 30 18 Entonnoir 10 5 Seau 5 3
Commode 2 2 Friquet 3 2      
Couverte 87 18 Hopital 5 3

LE COUVERT

  20
Drap 261 16 Huillier-vinaigrier 10 9 Assiettes-étain 317 10
Dressoir-vaisselier 5 5 Léchefritte 6 6 Assiettes-terre-faience 356 13
Fauteuil 16 11 Marmitte 34 15 Couvre-plat 4 1
Fontaine 1 1 Moulin pilon 3 3 Couteau 28 5
Lit bois/paillasse 59 18 Moulin à café 8 8 Couteau à dépecer 7 4
Lit plume 62 18 Moulin à poivre 5 5 Cuillère 193 18
Malle 3 3 Passe puré 3 3 Cuillère à pot 25 14
Miroir 14 11 Passoire 8 7 Ecuelle 11 4
Nappe 223 17 Poêle/poelon 18 12 Fourchette 124 17
Pupitre-secrétaire 1 1 Poissonnière 4 4 Gobelet/tasse 237 14
Rideaux/alcove/fenêtre 27 5 Poivrière 2 2 Plat 246 17
Serviette 1056 17 Rape 4 3 Saladier 18 4
Table 72 18 Tamis 8 5 Salière 26 12
Table à pliants 23 9 Terrine 1 1 Sucrier 5 4
Table ronde 3 2 Théière 5 4 Verre 523 5
Tapis 17 11 Tourtière 12 8      
Traversin/oreiller 60 17      

OUTILS

   
     

RECIPIENTS

  20 Balance/romaine 22 9

LUMIERE ET CHALEUR

  20 Barrique 26 4 Fer à repasser 24 11
Bassinoire 3 3 Bassin 8 7      
Chandelier 64 18 Bouteille 247 12

OBJETS DECORATIFS

  20
Equipement-cheminée 20 20 Cabaret 1 1

Objets de piété

6 3
Lampe/fanal 13 8 Cave/canevette 13 4 Tableau 24 3
Poêle 14 12 Chaudière/à bière 31 4 Tapisserie 3 1
Réchaud 10 7 Chopin-pinte-quart 11 11      
Tournebroche/broche 15 15            

 Tableau VIII: AMEUBLEMENT DES AUBERGES ET DES CABARETS: REGROUPEMENT PAR AFFINITES
[Editor - Original 1972 H F 19 Table and later MRS 136 Update]

MOBILIER

 

20

USTENSILES DE CUISINE

 

20

Fourchette

124  
Armoire 25 15

Cuisson

   

TOTAL

377 18
Banc/chaise/fauteuil 256 19 Boudinière 1  

Récipients-mets

   
Buffet/dressoir 19 14 Casserole 39   Assiettes d'étain 317  
Bureau/commode 7 6 Chaudron 7   Ass. Terre/Faience 356  
Coffre/malle 33 18 Hopital 5   Ecuelle 11  
Couverte/drap 348 18 Léchefritte 6   Plat 246  
Fontaine 1 1 Marmitte 34  

Couvre-plat

4  
Literie     Poêle/poelon 18  

TOTAL

934 18
     Lit-bois 59 18 Poissonnière 4  

Récipients-liquides

   
     Tour-de-lit 26 15 Terrine 1   Gobelet/tasse 237  
     Traversin 60 17 Tourtière 12   Verre 523  
     Paillasse 28 14

TOTAL

127 18

TOTAL

760 15
     Matelat 20 10

Préparation-Aliments

   

Accessoires/table

   
     Lit-plume 62 18 Tamis/friquet/passoire 19 8 Saladier 18 4
Miroir 14 11 Passe-purée 3 3 Salière 26 12
Nappe/tapis 240 14 Entonnoir 10 5 Sucrier 5 4
Pupitre-secrétaire 1 1 Ecumoir 11 9

 

   
Rideaux/alcove/fenêtre 27 5 Huilier-vinaigrier 10 9

Récipients

  20
Serviette 1056 17 Moulin à café 8 8 Barique 26 4
Table/pliants/ronde 98 18 Moulin à poivre 5 5 Bassin 8 7
      Poivrière     Bout./Flasque/Flacon 413 13

LUMIERE ET CHALEUR

  20       Cabaret 1 1
Bassinoire 3 3

Préparation-Boisson

    Cave-canevette 13 4
Chandelier/lampe 77 18 Cafetiere 15 7 Chaudière 22 13
Equipement-cheminée 20 20 Théière 5 4 Chopin/pinte/quart 11 11

Tournebroche

15 15 Chaudière à biere 9 9 Jarre 9 4
Poêle 14 12

 

    Panier 4 4
Réchaud 10 7

LE COUVERT

  20

Pot

71 12
     

Coutellerie

   

Seau

5 3

OBJETS DECORATIFS

  20 Couteau 28  

 

   
Objets de piété 6 3 Couteau à dépecer 7  

Outils

  20
Tableau 24 3 Cuillère 193   Balance-Romaine 22 9
Tapisserie 3 1 Cuillère à pot 25   Fer à repasser 24 11

seulement, les seuls ustensiles de cuisine par exemple, qui auraient pu entrer dans le mobilier type, eussent été les marmittes, poêles et casseroles. Et pourtant un cabaretier pouvait très bien ne pas disposer de marmittes et de casseroles mais cela ne l'empêchait pas pour autant de faire cuire ses aliments dans un chaudron ou une poêle.

D'après les données contenues dans ces inventaires, on peut établir deux grands types d'utilisation pour les différentes pièces de l'habitat de l'aubergiste et du cabaretier de Louisbourg. Il y a d'abord la cuisine, où se déroule la grande majorité des activités de la maisonné, et les autres pièces qui servent de chambres à coucher. Dans certains inventaires on retrouve parfois des pièces qui servent au rangement: le plus souvent il s'agira d'un cabinet appelle dépense. C'est en envisageant les différentes fonctions de la maison qu'on peut le plus facilement recréer cet ameublement type des auberges et des cabarets, d'abord son rôle protecteur.

Contre le froid et l'humidité de Louisbourg, il fallait à la fois chauffer la maison et empêcher la dispersion de la chaleur. La cheminée et le poêle constituent les deux seules sources de chaleur et tous les établissements hôteliers possédaient leur cheminée et habituellement un poêle. A en juger par les inventaires et le rôle qu'elle doit jouer pour la cuisson la cheminée est toujours localisée dans la cuisine. Et toujours d'après les mes inventaires le bois semble bien avoir été le seul combustible utilisé. Réchauffer les lits avec des bassinoires ne fut pas pratique courante puisque, dans l'ensemble des inventaires observés, il n'existait que trois bassinoires. Un excellent moyen d'empêcher la déperdition de la chaleur était d'entourer les lits avec des rideaux et tours de lit. Il est à noter cependant que tous les lits dans les auberges et cabarets sont loin d'être tous équipes de cette façon: pour 3.2 lits par maison, il n'y a que 1.7 tours de lit et rideaux. La serge, de couleur verte, était le plus fréquemment utilisé pour ces rideaux.

Les auberges et cabarets de Louisbourg étaient assez bien éclairés pour des établissements qui, à toutes fins pratiques, ne devaient ouvrir que du lever au coucher du soleil. A la lueur de la cheminée s'ajoutaient en plus environ 4 chandeliers par maison. Bien que la plupart des inventaires localisent ces chandeliers dans la cuisine, ils pouvaient facilement, vu leur nombre et leur déplacement facile, éclairer les trois pièces du cabaret et les cinq de l'auberge. Quant à la lumière du jour, les évidences documentaires ne permettent pas à présent de donner un nombre moyen de fenêtres par maison, mais il est certain que ce n'était pas les rideaux qui pouvaient gêner l'entrée de la lumière. Sur un total de vingt inventaires, il n'y avait de rideaux de fenêtres que chez Pierre Boisseau [65] et Julien Fizel. [66]

La pièce centrale de l'auberge ou du cabaret est la cuisine, utilisée pour la préparation des aliments, les repas, le travail, comme endroit de réunion et aussi pour le coucher quelques fois. Cette pièce s'ordonne, assez logiquement d'ailleurs, autour de la cheminée, cette partie constituante de l'immeuble où se fait la cuisson et auprès de laquelle les gens viennent se réchauffer. L'équipement d'une cheminée comprenait, de façon


65 Cf. note no. 64-2.

66 Cf. note no. 64-4.


générale, la crémaillère, les trépieds, la paire de chenets, une pelle, pincette et tenaille. Sur un total de vingt cheminées observées, quinze étaient munies de tournebroches; cela semble indiquer une tendance assez généralisée, à servir des viandes rôties dans les auberges et les cabarets. Des études sur trois localités de France, Coutances, [67] Azereix [68] et Isbergues, [69] ont permis d'établir qu'au XVIIIe siècle les paysans, journaliers et manouvriers de ces localités ne possédaient point de tournebroche dans leur cheminée. Cet instrument était plutôt réservé à des classes plus aisées. La présence de tournebroches dans presque tous les établissements hôteliers de la lointaine colonie de Louisbourg prend donc une toute autre dimension. Elle est à la fois un signe d'aisance, où, à tout le moins, une bonne indication qu'un des principaux rôles de l'aubergiste et du cabaretier est de servir des repas bien prépares.

Après la cheminée, l'élément du mobilier le plus important dans la cuisine est la table. Cinq tables par auberge ou cabaret semblent être une moyenne assez générale selon les inventaires et la plupart sont localisées dans la cuisine. Elles sont de différentes grandeurs, puisque les documents indiquent seulement petite ou grande table, et, quant a la forme, les tables rondes sont plutôt rares. Sur un total de quatre vingt dix huit tables observées, trois sont rondes, douze grandes et vingt deux petites; il n'existe aucune information précise sur les autres. J'ai


67 Lick.. Richard. "Les Intérieurs domestiques dans la seconde moitié du XVIIIe siècle d'après les inventaires après décès de Coutances", in Annales de Normandie, XX, no, 4, décembre 1970, p. 303.

68 Zink, Anne. La vie d'une communauté rurale à la fin de l'ancien régime. Paris, 1969.

69 Cf. note no. 11-3, p. 505.


pu remarquer également que vingt deux de ces tables sont à pliants et, pour ce qui est du matériau utilisé, vingt sont construites de pin, dix en sapin et une de merisier. L'utilisation des tapis de table et surtout des nappes est d'un usage largement répandu dans les auberges et cabarets de Louisbourg: chaque établissement en possède en moyenne dix sept dans ses armoires et coffres.

Les invités comme les membres de la maisonnée pouvaient prendre leur repas ou converser en s'assoyant sur des chaises, des bancs ou des fauteuils: il y en avait treize en moyenne par auberge ou cabaret. Dix neuf inventaires indiquent un total de deux cent cinquante six chaises, bancs, fauteuils; les fauteuils cependant ne représentent que 6.2% de l'ensemble et les bancs 14%. Sur un total de deux cent quatre chaises, quarante quatre sont en bois, cent cinq "paillées" ou "enfoncées de paille" et cinquante cinq de matériau inconnu. En supposant que ces dernières se répartissent également entre le bois et la paille, on pourrait en conclure que 70.4% des chaises dans les auberges et cabarets sont de paille et 29.6% en bois. Les précisions sur les fauteuils sont assez restreintes: deux étaient recouverts de calmande, deux avec de la serge verte, et trois étaient "paillés".

Dans la cuisine se retrouvent également des armoires qui servent à ranger soit du linge, soit de la vaiselle: environ 1.6 armoire par auberge ou cabaret. Le matériau de construction peut être établi pour quatorze de ces armoires. Le sapin prédomine avec six, le pin vient ensuite avec quatre, suivies de trois en merisier et une en noyer. Treize armoires sont décrites comme étant à deux battants et deux à un seul; quatre possèdent un tiroir, quatre sont attachées à des murs et neuf ferment à clef. L'autre meuble de rangement, que l'on retrouve habituellement dans la cuisine, est le buffet avec un par établissement hôtelier. Cinq seulement de ces buffets possèdent un dressoir au dessus et, sur un total de quatorze, trois sont construits avec du bois de sapin et trois autres en bois de pin; six buffets possèdent deux portes. Il est impossible d'établir avec certitude quels matériaux étaient employés pour la construction des armoires et des buffets, mais les principales tendances relevées indiquent des meubles à deux portes surtout, construits avec du sapin, du pin ou du merisier.

Une cuisine est normalement utilisée pour préparer et servir des repas. D'après le tableau d'ameublement que J'ai préparé, on peut établir de façon générale à sept pièces par auberge et cabaret les ustensiles de cuisine utilisés pour la cuisson. Il s'agit surtout de marmittes, de casseroles, de poelons, et quelques tourtières et chaudrons. Ces ustensiles sont le plus souvent en cuivre; il en existe également en fer, plus rarement en potin et en laiton. Quant aux ustensiles utilisés pour la préparation des aliments et des boissons, tels les tamis, entonnoirs, théières et cafetières, le nombre d'inventaires qui en indiquent est beaucoup trop restreint pour donner des moyennes.

Il y a fort peu à dire sur la vaisselle utilisée dans les auberges et cabarets, sinon établir à une moyenne de 51.8 le nombre de récipients pour les mets et A 50.6 celui des gobelets et des verres pour chaque maison. Les assiettes et plats d'étain forment le groupe le plus nombreux, suivis de ceux en faience, en terre et finalement en porcelaine. Dans les tableaux d'ameublement gobelets et tasses ont été places ensemble: en fait cinquante cinq tasses furent inventoriées et ce dans huit maisons seulement. Chaque auberge ou cabaret possède en plus environ vingt et un morceaux de coutellerie. Deux faits assez intéressants peuvent être notés ici: à peu près un tiers des fourchettes et des cuillers sont en argent, et les couteaux sont très rares. Et pourtant l'habitude de fournir des couteaux et des cuillers aux invites s'était généralisée en Europe depuis le XVI siècle alors qu'il faut attendre 1750 pour voir l'usage des fourchettes se répandre. [70] La non utilisation du couteau donne la nette impression que les viandes devaient être mangées avec les mains; cela expliquerait d'ailleurs le grand nombre de serviettes qu'on retrouve dans les inventaires, soit environ soixante deux dans chaque auberge et cabaret.

Dans le secteur des récipients, chaque établissement possède sa chopine, pinte et quart. Ce sont là des instruments de mesure utilises pour servir la boisson aux clients. Les inventaires mentionnent une trentaine de bouteilles pour chaque maison ainsi que cinq à six pots. Il semble plutôt surprenant de ne pas retrouver plus de chaudières à bière que les neuf mentionnées dans neuf inventaires différents. La bière n'était certainement pas une boisson très en demande dans les auberges et cabarets de Louisbourg.

Exception faite de la cuisine, toutes les pièces de la maison servent de chambres à coucher. On y trouve des lits, quelques fois une armoire et des chaises, mais sutout des coffres pour le rangement. La literie comprend le bois de lit (3.2 en moyenne par établissement), le tour de lit, les traversins, la paillasse, le matelas et le lit de plume. L'inventaire de Jean Laumônier fournit une description assez typique de ce qui compose


70 F. Brandel, Civilisation materielle et capitalisme, Paris, 1969, pp. 148-150.


un lit: "Un lit composé de son chalit, d'un matelas, d'un lit de plume d'un traversin, d'une couverture d'une courtepointe garni de ses rideaux de serge verte". [71] Pour les draps et couvertures la moyenne par auberge et cabaret s'établit à 19.3 draps et couvertes.

Lorsque l'aubergiste acceuillait un visiteur, il lui louait habituellement une chambre complète si son séjour était pour une période de temps assez prolongée. [72] Si le client n'était que de passage, il devait plutôt être reçu dans de petits cabinets, une chambre étant divisée en deux ou trois pièces, par des cloisons plus ou moins permanentes. [73] Les documents ne sont pas assez explicites pour élaborer sur les facilités mises à la disposition de ces pensionnaires. Cela devait se limiter au lit et à quelques couvertes. Mais encore là, il est assez étrange que les auberges et cabarets de Louisbourg ne contiennent pas plus de lits que la moyenne de 3.2 relevée. Même si deux ou trois personnes pouvaient coucher dans un lit, la grandeur des familles ne laisse pas tellement de lits pour coucher les pensionnaires. La solution à ce problème serait que les gens


71 Cf. note no. 64-15.

72 Cf. note no. 64-2; Inventaires des biens de B. Larréguy. Louisbourg, 1 mars 1738, AN, Section Outremer, G2, vol. 185, fols. 52v-53. Requête de Jean Richard, Louisbourg, 19 août 1739. AN, Section Outremer, G2. vol. 185, fols. 342-345. Inventaire biens de C. Barollet, Louisbourg, 5 octobre 1756, AN, Outremer, G2, vol. 206, d. 408.

73 Cf. note 64-2, 8, 9, 14. AN, Section Outremer, G3, vol. 2041-1. d. 184 et vol. 2042, d. 53. Baux de loyer. Louisbourg, 6 Juillet 1752 et 17 mai 1754.


devaient coucher simplement sur un lit de plume ou une paillasse jeté sur le plancher. Cela pourrait expliquer pourquoi dans certains inventaires, les évaluateurs relèvent tant de lits de plume dans telle ou telle pièce sans mentionner de bois de lit par exemple.[74]

Bien que cela ne soit pas typique chez les aubergistes et cabaretiers le peu de place qu'occupe l'enfant dans la maison est un phénomène frappant lorsqu'on étudié les inventaires. La dimension de la famille de l'aubergiste et du cabaretier s'établit aux environs de quatre enfants, et pourtant rien n'est à sa mesure. Une ou deux couchettes, un berceau,[75] sont peut-être mentionnés dans tous ces inventaires mais aucun jouet. Comme dans la France de l'ancien régime,[76] l'enfant à Louisbourg doit évoluer dans un monde d'adultes où tout est conçu en fonction de ce dernier. Cela ne provoque peut-être pas une maturation plus rapide de l'enfant, mais l'oblige, à tout le moins, à accepter des responsabilités d'adultes beaucoup plus tôt. L'abscence de tous livres dans ces inventaires est une assez bonne preuve également que l'aubergiste comme le cabaretier de Louisbourg n'est pas tellement tourné vers les choses de l'esprit; nombreux sont ceux d'ailleurs qui ne savent me pas écrire. Ce fait devait à n'en point douter être un frein important dans leurs activités commerciales.

Se déroulant dans le décor familial, les activités des aubergistes et des cabaretiers affectent toute leur famille. Chaque membre de la maisonnée doit apporter sa contribution au commerce du père. En somme c'est toute la famille, qui, dans sa vie quotidienne, doit continuellement s'adapter à


74 Cf. no. 64-6, 10, 12, 14, 20.

75 Cf. note no. 64-17.

76 Aries, Philippe. L'enfant et la vie familiale sous-l'Ancien Régime. Paris, 1960, p. 462-467.


des situations changeantes. Et pour faire face à tout cela, les facilités sont quand même restreintes. Tout dans le mobilier a son utilité, rien n'est superflu. Les facilités mises à la disposition des clients ne témoignent certainement pas d'une société très opulente. Le nombre de pièces dans les cabarets et auberges ne permet aucune extravagance. Le seul élément de luxe est peut-être la présence de tournebroches dans toutes les cheminées d'auberges et de cabarets permettant ainsi de servir des repas bien préparés.

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