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Researching the Fortress of Louisbourg National Historic Site of Canada
  Recherche sur la Forteresse-de-Louisbourg Lieu historique national du Canada

AUBERGISTES ET CABARETIERS DE LOUISBOURG
1713 - 1758

PAR

GILLES PROULX

Août, 1972

(Fortress of Louisbourg Report H F 19)

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For these, please consult the original report in the archives of the Fortress of Louisbourg

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Table des Matières

CHAPTRE II: LÉGISLATION ET ACTIVITÉS

L'histoire de Louisbourg n'occupe guère plus que quarante deux ans mais à douze reprises au moins pendant cette période, les autorités durent intervenir par des ordonnances et législations spéciales afin de mettre un peu d'ordre dans la vente et la consommation des boissons. Le principal problème, auquel durent faire face les autorités pendant toutes ces années, fut le trop grand nombre d'auberges et de cabarets où les gens pouvaient se laisser aller à l'ivrognerie. Ce n'était pas là un mal nécessairement limité à la colonie française de l'Isle Royale puisque le gouverneur de Plaisance, Pastour de Costebelle, écrivait en 1713 qu'il fallait réduire le nombre de cabaretiers et de personnes oisives afin que la colonie ne "s'abatardisse" pas dès ses débuts. [21] Costebelle voulait sans doute éviter à Louisbourg une difficulté qu'avait connu Plaisance.

Bien que prévu dès la fondation de Louisbourg, le problème de l'alcoolisme ne put cependant être évite. Pour les nouveaux colons il s'agissait de trouver des moyens d'assurer leur survie; dans cette optique alors, les abus que pouvait provoquer la tenue d'un débit de boissons leur importaient peu si cela leur permettait de se débrouiller. En étudiant quelque peu les différents règlements (tableau VI) sur les cabarets adoptes par les autorités,


21 AN, Col., C11C, vol. 7, fol. 240. Costebelle au ministre. Plaisance, 24 octobre 1713.


on constate que les années 1720, [22] 1734, [23] 1741, [24] 1749 [25] et 1754 [26] furent décisives dans la législation hôtellière à Louisbourg. Les ordonnances mises en vigueur ces années-là couvrent le plus grand nombre de domaines, au moins huit, dans lesquels les autorités sentent le besoin dl intervenir. Sur un total d'environ dix huit stipulations mises de l'avant de 1713 à 1758, au moins sept furent réitérées à six ou sept reprises. Ces répétitions peuvent sans doute témoigner des difficultés qu'éprouvaient les autorités à faire respecter leurs règlements mais aussi du profond intérêt
qu'elles portaient au bien-être de la communauté qu'elles devaient diriger.

La perte de temps, le gaspillage des salaires, la maladie, le vol et la violence sont les principaux abus provoqués par la multiplicité des cabarets et auxquels on voulut rémédier par des mesures législatives. Ces problèmes, les autorités eurent à les déplorer avec un secteur bien défini de la population de Louisbourg soit celui des soldats, matelots et pêcheurs. C'était du moins le comportement de cette partie de la population qui affectait le plus les autorités. Requis pour monter la garde, employés aux travaux de construction, les soldats ne pouvaient choisir de s'enivrer


22 Ordonnance de police. Louisbourg, 27 avril 1720. AN, Col., C11B, vol. 5. fols. 157-158.

23 Ordonnance de police. Louisbourg, 23 mai 1734. AN, Col., C11B, vol. 24, fols. 307-307v.

24 Ordonnance de police. Louisbourg, 4 juillet 1741. AN, Col., C11B, vol. 23, fols. 03-04.

25 Ordonnance de police. Louisbourg, 4 août 1749. AN, Col., C11B, vol, 28, fols. 153-154.

26 Ordonnance de police. Louisbourg, 29 septembre 1754. AN, Col., C11B, vol. 34, fols. 83-84.


pendant deux ou trois jours [27] sans ralentir le développement de la forteresse. Et, pour assurer un certain progrès économique à la colonie, les autorités devaient être à même de garantir aux habitants-pêcheurs et aux capitaines de navires que leurs employés seraient à leur poste.

Différents documents nous révèlent la mentalité des soldats et pêcheurs devant la question des boissons.
 

"Il envoye plusieurs reglemens de Police que M. de St. Ovide et lui ont fait en conséquence des ordres du Conseil, et pour le bien de la Colonie, ils auroient souhaité chasser tous les Cabaretiers qui ne font point de pesche, mais il y a de grands inconveniens, on ne peut les chasser tous il faut que le soldat et matelot boivent, ils ne travaillent que pour cela, si on en conserve une partie on aura beau taxer les boissons ces gens y mettront toujours le prix". [28]

C'est en ces termes plutôt fatalistes que s 'exprimait De Mézy en 1720. Quelques années plus tard la veuve Péré faisait état de ses préoccupations
envers les pêcheurs.

"Et s'il arrivait qu'il fut permis aux cabartiers de donner à boire aux pescheurs et que ceux qui ne pourraient pas les payer seroient tenus d'aller à leur service cela ferait un tort considerable au


27 St-Ovide et De zy au Conseil de Marine. Louisbourg, 10 novembre 1720. AN, Col., C11B, vol. 5, fols. 136-143v.

28 Conseil de Marine sur une lettre de De Mézy. Paris, 24 août 1720. AN. Col., C11B, vol. 5, fols. 75-75v.


pais parceque les cabaretiers fourniraient a l'envie aux pescheurs qui sont portes assez naturellement a boire, et lorsqu'au bout de l'année ils ne pourraient pas payer cela leur occasionnerait la désertion qui nest desja que trop fréquente ou bien les habitants seraient obliger d'aller chercher des pescheurs chez des cabartiers dont ils seraient les esclaves". [29]

En fait l'attitude des pêcheurs et des soldats, leur forte propension à boire, est facilement compréhensible quand on se réprésente l'isolement qui pouvait régner à Louisbourg. Les engagés-pêcheurs demeuraient à Louisbourg la durée d'une saison de pêche, les matelots y séjournaient le temps de décharger une cargaison et les soldats quelques années. Les loisirs organisés étaient inexistants à l'époque et la plupart de ces personnes étaient célibataires; l'ennui venait facilement, et il leur fallait trouver une échappatoire. A cette population déracinée, la plupart du temps sans obligation familiale ou autre, l'alcool semblera le meilleur moyen pour svader de la pluie et des brumes de Louisbourg.

Traitant du problème de l'ivrognerie en France, Fernand Braudel écrit:

"Au XVIIIe siècle, le mouvement gagne les campagnes elles mêmes (les cabarets y sont la ruine des paysans) et s'accentue dans les villes. Une consommation de masse est devenue la règle. C'est


29 Supplique de la veuve Péré contre Louis Salomon. Louisbourg, 27 octobre, 1733. AN, Section Outremer, G2, vol. 182, fol. 1032.


le début triomphal des guinguettes aux portes de Paris, hors de l'enceinte de la ville ...." [30]

Louisbourg n'echappe pas à ce problème car, selon les officiels, les cabaretiers y ruinent entièrement la colonie. [31] Pour pallier à cette situation et parce que la discipline ne s'accordait pas avec l'usage trop libre de la boisson dans une colonie naissante, [32] il fallait donc adopter les correctifs nécessaires. Les principaux règlements mis de l'avant par les autorités sont présentés dans cette étude sous forme de tableau en indiquant pour chacun la fréquence de leur répétition au cours de l'histoire de Louisbourg. Je ne voudrais reprendre ici que sept de ces mesures qui m'apparaissent comme les plus significatives. Personne ne pouvait vendre de la boisson sans être muni d'une permission des autorités. Si cette stipulation apparait comme un des éléments fondamentaux de la législation sur les cabarets, il est impossible de fournir aucune explication valable au fait qu'on ne retrouve dans les documents aucun de ces permis à une exception près. Et encore, dans ce dernier cas, il s'agit d'une courte note à la fin d'une ordonnance. [33] S'agissait-il de permissions accordées verbalement ou pas assez importantes pour être notées, je ne saurais le dire.


30 F. Braudel, Civilisation matérielle et Capitalisme, Paris, 1967, p. 176.

31 St-Ovide au Conseil de marine. Louisbourg, 13 novembre 1717. AN, Col., C11B, vol. 2, fols. 236-236v.

32 Soubras au Conseil de marine. Louisbourg, 1717. AN, Col., C11B, vol. 2, fols. 258-258v.

33. Cf. note no. 24.


Tableau VI: LEGISLATION POUR LA BOISSON ET LES CABARETS
[Editor - Original 1972 H F 19 Table and later MRS 136 Update]

STIPULATIONS

1714 1717 1720 1722 1728 1734 1735 1741 1742 1749 1753 1754
1 Les habitants avant un métier pouvant les faire vivre ne peuvent vendre           x   x   x   x
2 Permission des autorités requise pour vendre x [1]   x x x x x x   x   x
3 Enseigne sur les maisons obligatoire     x x x x x x   x   x
4 Pas de boisson aux soldats les Jours ouvrables     x x x x x x x x   x [2]
5 Pas de boisson aux matelots et comgnons pêcheurs           x x x x [3] x   x
6 Seuls mitrer pêcheurs vendent à leur équipage   x x     x x x   x    
7 Pas de boissons pendant,le service divin / dim. et fêtes     x     x x x x x    
8 Marchands forains ne peuvent vendre boissons ou détail   x x                  
9 Cantines réservées aux soldats             x          
10 Vente à crédit aux soldats interdite                       x
11 Vente aux Indiens interdite                     x x
12 Pas de boisson après la retraite battue     x     x x x x x   x [4]
13 Pas de boisson quand générale battera manoeuvres                       x
14 Cabarets défendus dans les nouveaux villages                     x  
15 Cabarets interdits hors Louisbourg en dedans d'l lieue     x                  
16 Défense de loger matelots étrangers                       x
17 fense de loger domestiques sans congé                       x
18 Permis de vente fixé à 3 ans                       x
                                    Notes:
(1) De la boisson aux soldats seulement
(2) Aux soldats et toute personne en service
(3) Les jours propres pour la pêche ou sécherie du poisson
(4) Entre 10 heures du soir et le lever du soleil
                       

Pour tenir cabaret à Louisbourg il fallut à partir de 1720, afficher de façon bien visible une enseigne sur la maison où l'on effectuait un tel commerce. Encore là un nombre assez limité d'enseignes a pu être relevé; l'auberge de Jean Seigneur sur la rue Toulouse affichait le nom de "l'Epée Royale". [34] Germain Maujot, aubergiste également sur la rue Toulouse, arborait le nom de "l'Autel de la Marine". [35] Il est impossible de préciser si Maujot, en déménageant sur la rue St-Louis vers 1741, [36] conserva la même enseigne. Un cabaret, localisé dans le faubourg de la porte dauphine, avait pour enseigne: "Le Soleil". [37] Ce sont là les trois seules mentions données par les documents, et cette carence d'enseignes ne peut que laisser songeur sur l'application des lois. De nombreux soldats étant employés aux travaux de fortification, aux corvées et à la construction d'édifices publics, le meilleur moyen trouve pour pallier aux pertes de temps provoquées par la consommation de boissons fut d'interdire aux cabaretiers de servir à boire aux soldats les jours ouvrables. Etant donne ltat d'esprit des soldats en garnison à Louisbourg, l'efficacité de ce règlement fut probablement très limitée. L'interdiction faite de vendre de la boisson


34 Procédure judiciaire entre Joannis Duperie et Joannis Dolobarats. Louisbourg, le 3 septembre 1735. ACM, B, vol. 269, fols. 12v-13v.

35 Procédure judiciaire entre Pierre Leture pour le Sr. Glamar et Ustache Lepetoux. Louisbourg, 25 octobre 1735. ACM, B, vol. 269, fol. 19.

36 Bail à loyer. Louisbourg, 7 novembre 1741. AN, Section Outremer, G3, vol. 2046-2, doss. 64.

37 Procès pour vol de Jean Douroulla, Dupré, Pierre Bellon et J. Rozet. Louisbourg. Novembre 1751 à novembre 1754. AN, Section Outremer G2, vol. 210, doss. 517, fol. 30v.


ou d'ouvrir les cabarets pendant la durée du service divin les dimanches et fêtes fut sans doute plus respectée. Dans une société aussi petite que louisbourg les croyances et la pratique religieuses devaient être très surveillées.

Une autre mesure des plus importantes était celle concernant les heures de fermeture des cabarets de Louisbourg. Le plus souvent on indiquera dans les ordonnances que ces établissements doivent fermer leurs portes a la retraite battue. En fait les heures ne seront précisées qu'en deux occasions seulement. En 1720 on déclare que les cabarets doivent se fermer à huit heures en été et cinq heures l'hiver. [38] Cet horaire correspond à peu près au battement de la retraite. En 1754 la fermeture était fixée à dix heures, les cabarets ouvrant avec le lever du soleil. [39] Seules les personnes recevant des pensionnaires pouvaient le faire après cette heure. On peut donc dire que de façon générale la loi exigeait que les établissements hôteliers ne soient ouverts que du lever au coucher du soleil. A Louisbourg comme ailleurs la lumière du jour conditionnait le déroulement de la vie quotidienne.

Certains témoignages donnés a des procès indiquent pourtant que cet horaire rigoureux connut quelques brèches. Pour la première période le témoignage de Jeanne Bonneau, épouse d'André Surgère, revendeur, est assez explicite. "Le nommé Thomas Cir amena chez eux sur les dix a douze heures du soir un garçon qu'elle ne connaissait pas, quils y mangèrent un pied de


38 Cf . note note 22.

39 Cf. note no. 26.


Boeuf ..." [40] Nous sommes en 1733, et dix ans plus tard Guy Billy, archer de marine, déclarait que "vendredy dernier sortant de souper de son auberge ayant entendu du bruit dans la rue...". [41]  Selon les autres témoins au procès on sait que le tout se déroulait aux environs de 9:30 P.M. Ces repas servis à des heures tardives impliquent que tout ne fermait pas nécessairement avec la retraite battue.

En 1752 le tonnelier Jean Noel perdit la possibilité de vendre de la boisson et de tenir billard parce qu'il avait reçu chez lui une "compagnie de jeune gens" à des heures indues de la nuit. [42] Si les autorités appliquèrent la loi avec rigueur en cette occasion, deux ans plus tard des soldats déclaraient s'être rendus au cabaret de Jean Malfait vers les 11 à 12 heures un samedi soir et y avoir passé le reste de la nuit à boire. [43] Evidemment il est très difficile de généraliser à partir de ces exemples particuliers mais ces faits démontrent une fois de plus combien il pouvait être difficile pour les autorités de faire respecter leurs règlements.

A partir de 1734, seules les personnes ne pouvant vivre de leurs métiers reçurent le droit de tenir cabaret. Les autorités auraient sans doute souhaite adopter des mesures beaucoup plus radicales allant jusqu'à


40 Procédure criminelle entre Germain Maujot et Thomas Cir. Louisbourg, novembre 1733, AN., Section Outremer, G2, vol. 182, fol. 677.

41 Procédure criminelle entre Angélique Butel-Lelièvre et Servanne Bonnier - Santier. Louisbourg, 1744-1745. AN, Section Outremer, G2, vol. 199, doss. 190.

42 Sentence du bailliage de Louisbourg, 25 février 1752. AN, Section Outremer, G2, vol. 204, doss. 470, fols. 104v-105.

43 Procès pour voies de fait et vol. Interrogatoire d'Antoine Brie dit La mouche. Louisbourg, 24 juillet 1754. AN, Col., E 306, fols. 66v-67.


l'élimination pure et simple des cabarets. Mais, comme les gens sans métier eussent été à la charge de la colonie, il fallait bien faire quelques concessions. [44] Avec 1734 également les cabaretiers ne purent servir de la boisson aux matelots et aux pêcheurs. Seuls les maîtres-pêcheurs et les capitaines de navires devaient jouir de cette clientèle. Dans une demande adressée aux autorités aux environs de 1733 François Lessenne, habitant-pêcheur, traduit assez bien le sentiment de ses collègues sur la question. Ses griefs expliquent la situation privilégiée des habitants pêcheurs créée par l'adoption de la loi de 1734.

"Vous scavez Messieurs quil est impossible a un habitant pecheur d'être quitte de sa peche si ses gens ne font la depance chez luy il mest donc impossible de men tirer puisque mes gens sont continuellement dans ces cabarets qui sont sur nos graves et que lon peut a Juste titre appellés le Coupe Gorge des habittants pecheurs, le suppliant, Messieurs, fait de gros frais pour Batir des Chauffauts, Et entretenir beaucoup d'équipage pour pouvoir subsister avec sa famille Et c'est dans le temps quil travaille le plus, quil se trouve le plus obéré par ces cabarets qui attire ses gens". [45]

La loi de 1734 venait d'ailleurs renforcer un règlement adopté en 1717 et qui précisait que seuls les maîtres pêcheurs pouvaient vendre de la boisson à leur équipage.[46]. Ces stipulations privilégiant les maîtres


44 Duquesnel et Bigot à Maurepas. Louisbourg, 20 octobre 1741. AN, Col., C11B, vol. 23, fols. 24-29.

45 Supplique de François Lessenne au Conseil Supérieur. Louisbourg, c. 1733. AN, Section Outremer, G2, vol. 183, fols. 392-392v.

46 Conseil de Marine. Paris, 13 avril 1717. AN, Col., C11B, vol. 2, fols. 09-10.


pêcheurs et les capitaines de navire n'étaient aucunement en contradiction avec le règlement voulant que seuls les gens sans métier pouvaient tenir cabaret. Le commerce des boissons permettait de réaliser des profits et les autorités voulaient simplement en réserver une partie aux personnes qui par leurs activités assureraient le développement économique de la colonie. Ce faisant, cependant, on renforcait le lien de dépendance de l'employé vis à vis son employeur. En somme l'intervention étatique privilégiait une conception bourgeoise de la société, une société où les gens plus fortunés recevaient toute la protection puisqu'on leur assurait une clientèle qu'ils pourraient exploiter à volonté.

Evidemment les autorités s'inspiraient d'intentions fort louables: il leur fallait éliminer les parasites, les gens sans métier, en limitant le plus possible leur clientèle et faire disparaître les abus en restreignant le nombre de cabarets. Malgré les bonnes intentions le système favorisait quand même une certaine exploitation, et elle est bien visible dans les Compagnies franches de Louisbourg. Sous prétexte de tenir les soldats éloignés des mauvais cabarets de la ville, [47] on accordait à chaque capitaine la permission de tenir une cantine. On ne faisait ainsi que légaliser une situation que François Isabeau avait ainsi décrite:

"Cela ne me surprend point par la connaissance que jay que les officiers presentement authorise leurs soldats a travailler pour l'habitant au préjudice du service du Roy, par ce qu'il ne leurs est plus possible de faire donner des billets a


47 St-Ovide au ministre de la marine. Louisbourg, 20 novembre 1726. AN, Col., C11B, vol. 8, fols. 60-64v.


discretion comme par le passe, et le tout pour leurs intérest particulier, qui ne consiste qu'a trafiquer avec eux les billets ou argent de leurs salaires pour des boissons et Tabac qui les entretiens dans l'Ivrognerie et dans la paresse..." [48]

Dans ce domaine au moins, le microcosme Louisbourgeois apparait donc très proche de la société d'Ancien Régime en France.

Même si les soldats, matelots et pêcheurs n 'avaient l'également pas le droit de se rendre aux cabarets et auberges de Louisbourg, ils en constituaient quand même la clientèle la plus assidue. Ces établissements étaient presque l'unique forme de divertissement et seuls endroits de rencontre à Louisbourg, ce qui explique leur popularité. La population civile de Louisbourg, exclusion faite des pêcheurs, ne fut jamais assez grande pour permettre à elle seule l'existence de vingt à trente auberges et cabarets à la fois. Les salaires que touchaient soldats et pêcheurs n'étaient sans doute pas très élevés mais il ne faut pas oublier que, jusqu'en 1754, la vente de boissons à crédit était autorisée dans les auberges et cabarets. A en juger par les dettes actives des aubergistes et cabaretiers qui représentent 20% de leurs avoirs totaux, (tableau I) la vente à crédit était pratique courante dans leurs établissements. En ce qui a trait aux autres secteurs de la population civile, marchands, artisans et commis de l'état, il est impossible de savoir s'ils constituaient une clientèle assidue des établissements hoteliers.

A coté de cette clientèle assidue on retrouvait également les personnes qui devaient pensionner dans les auberges et cabarets. Il y avait d'abord


48 Isabeau au Conseil de Marine. Louisbourg, 22 octobre 1719. AN, Col., C11B, vol. 4. fols. 248-248v.


les clients de passage, ceux qui ne demeuraient à l'auberge que pour une nuit ou deux. Ces personnes n'étaient que de passage à Louisbourg comme
les capitaines de navires, ou en route vers l'intérieur des terres, vers l'Acadie, comme les missionnaires. [49] C'étaient aussi des habitants de Niganiche ou du Petit Degrat venus régler une question quelconque avec le Conseil Supérieur ou la cour d'Amirauté. A cette clientèle de passage s'ajoutaient aussi les personnes devant séjourner à Louisbourg pour des périodes de temps beaucoup plus longues. La plupart du temps il s'agissait d'employés de l'état qui trouvaient à se loger dans ces établissements pour les premiers mois de leur séjour dans la colonie; le capitaine de navire, oblige de dégréer son bâtiment pour l'hiver, y trouvait aussi refuge.

On verra dans la troisième partie de cette étude, en traitant la question de l'ameublement, quelles étaient les facilités mises à la disposition des pensionnaires. J'aurais aimé aborder le problème des prix de logement et pension, mais les données dans ce domaine sont beaucoup trop limitées et éparses pour s'en faire une idée exacte. Quelques exemples permettront quand même de jeter un peu de lumière dans ce domaine. Pour être demeuré en pension à l'auberge de Jean Seigneur pendant onze mois, en 1736-1737, Bertrand Larréguy aurait dû acquitter six cent soixante dix livres, soit soixante livres par mois, pour lui même et soixante dix livres pour les sept mois de pension de son "nègre" Malfiche. [50] A en juger par


49 Inventaire des biens et papiers de la communauté de Marguerite Terriau et Pierre Boisseau. AN, Section Outremer, G3, carton 2044, doss. 19.

50 Succession de Bertrand Larreguy. Louisbourg, 1 mars 1738. AN, Section Outremer, G2, vol. 185, fols. 52v-53.


les prix de repas qui furent servis à des invites de Larréguy pendant ce temps, et qui sont indiqués dans le document auquel je me réfère, le soixante livres par mois semble inclure à la fois nourriture et logement; la boisson cependant est exclue. Il en coûta cent trente deux livres à Claude Barollet, en pension à l'auberge de Nicolas Leblanc, du 6 août 1756 au 9 septembre 1756, soit cent vingt livres par mois. [51] Les prix auraient donc doublés en l'espace de vingt ans!

Les activités dans les auberges et cabarets semblent avoir été assez limitées; on se rendait dans ces établissements pour prendre un pot de rhum ou de vin et converser entre amis. Cela semble bien avoir été la principale raison d'être de ce que François Lessenne considérait comme des "gargottes". [52] Toute la législation adoptée de 1714 à 1758 visait précisément d'ailleurs à mettre un peu d'ordre dans la vente et la consommation des boissons. On peut supposer également qu'on devait jouer aux cartes dans les auberges et cabarets de Louisbourg. Quatre sizain de cartes sont en effet mentionnés dans l'inventaire après décès de Jean Seigneur [53] et cinq dans celui de Julien Auger dit Grandchamps. [54] Bien que certains autres jeux aient éte pratiqués dans la colonie on ne peut cependant les associer avec les activités dans les auberges et cabarets.


51 Inventaire des biens de Claude Barollet. Louisbourg, 5 octobre 1756. AN, Section Outremer, G2, vol. 206, doss. 408.

52 Cf. note no. 45.

53 Inventaire des biens de Jean Seigneur dit Larivière, Louisbourg, 15 mars 1745. AN, Section Outremer, G2, vol. 199, doss. 197.

54 Inventaire des biens de Julien Auger dit Grandchamps. Louisbourg, 1 avril 1741. AN, Section Outremer, G2, vol. 197, doss. 142.


On retrouve par exemple un jeu de trictrac dans la vente des biens de Pierre Boucher;[55] en mai 1726, un groupe de quatre ou cinq personnes, après avoir mangé un râgout de gibier, passait la soirée à jouer au "trique" [56] chez un dénommé Lahaye. Claude Barollet possédait son jeu de dominos, [57] et Jean Pierre Grégoire un jeu de quilles. [58] Dans la liste des biens de Grégoire Chapelard un "jeu de Bagues" est inventorié. [59] Ce jeu, localisé dans la cour, devait être quelque chose d'assez imposant puisqu'il est estimé à deux cent livres. Aucun de ces jeux n'a pu être retrouvé dans des inventaires d'aubergistes ou de cabaretiers mais ils s'ajoutent quand même a la liste des divertissements accessibles a la population de Louisbourg.

A la consommation des boissons et au jeu de cartes, on peut ajouter le jeu de billard. Le tonnelier Jean Noel possédait un jeu de billard dans son cabaret lorsqu'on lui enleva son permis de vente de boisson en février 1752, [60] Le plan de Louisbourg, exécute en 1731 par Verrier, [61] identifie la maison de J.F.C. Beauséjour dans l'ilôt trois comme "Le Billard". Ce nom aurait très facilement pu servir d'enseigne pour un


55 Vente des biens de Pierre Boucher, Louisbourg, 1753. AN, Section Outremer, G2. vol. 202, doss. 287.

56 Procédure criminelle à la requête de Blaise Gaudat. Louisbourg, mai 1726. AN, Section Outremer, G2, vol. 179, fol. 177v.

57 Cf. note no. 51.

58 Vente des biens du Sr. Jean Pierre de Grégoire. Louisbourg, 26 mars 1757. AN, Section Outremer, G2, vol. 209, doss. 507.

59 Succession Grégoire Chapelard. Louisbourg, 7 décembre 1757. AN, Section Outremer, G2, vol. 211, doss. 537.

60 Cf. note no. 42.

61 A.F.L., M.C., 731-1.


cabaret; il me semble assez logique de penser cependant qu'il y avait un jeu de billard dans cette maison. L'unique autre jeu de billard dont on relève la mention se trouvait à l'auberge de Pierre Boisseau. La vente de ses biens en 1755 en donne la description suivante: "item un billard à tapis neuf, ensemble les queux, masses et billes diceluy, estimé avec lesd. billes en la quantité de neuf paires estime trois cent cinquante livres cy ..." [62]

Les auberges et cabarets de Louisbourg servaient également les trois repas quotidiens, et ce, non seulement pour leurs pensionnaires, mais aussi pour les gens de l'endroit. Il n'a été possible de retrouver que quatre exemples de repas préparés spécialement pour des clients dans les établissements hôteliers. Les documents ne permettent pas par ailleurs d'établir un menu type pour les repas servis dans les auberges et cabarets. Comme ces établissements étaient des maisons privées où le tenancier demeurait avec sa famille, les clients, pensionnaires ou de passage, devaient habituellement manger les mêmes mets que les membres de la maisonnée. L'information receuillie à l'heure actuelle ne permet pas de faire une étude détaillée du régime alimentaire des habitants de Louisbourg. On peut cependant avancer que la consommation du vin accompagnait les trois repas quotidiens au moins dans les auberges.


62 Cf. note no. 49.


Les quatre exemples de repas relevés laissent croire que la viande et le poisson constituent les mets principaux, le repas s'accompagnant également de pain et de fromage. [63] La présence de tournebroches dans au moins quinze établissements hôteliers sur vingt apparait comme une indication certaine du goût des habitants de Louisbourg pour les viande rôties. L'étude d'une vingtaine d'inventaires après décès d'aubergistes et cabaretiers permet à tout le moins de recréer une assez bonne image de ce qui pouvait entrer dans le régime alimentaire. Le tableau no. VII qui suit est une liste, sans doute partielle, des différents aliments que l'on pouvait consommer à Louisbourg. Les données chiffrées malheureusement sont beau coup trop restreintes pour que l'on puisse établir la fréquence de consommation de ces différents aliments ou même d'établir une certaine proportion d'utilisation. Il faudrait pour ce faire exécuter une étude complète et exhaustive de l'alimention à Louisbourg; encore là cependant il est fort a craindre que les informations sur les denrées comestibles soient beau coup moins précises que celles sur le mobilier ou les boissons par exemple.


63 Procédure criminelle vs François Bénard. Louisbourg, 6 octobre 1753. AN, Section Outremer, G2, vol. 203, doss. 373. Procédure criminelle vs Mathurin Bunon. Louisbourg, 11 décembre 1737. AN, Section Outremer, G2, vol. 184, fols. 471v-472.


Tableau VII: REGIME ALIMENTAIRE
[Editor - Original 1972 H F 19 Table and later MRS 136 Update]
 

LES VIANDE

 

LAITAGES

- Boeuf frais et salé
- Porc idem
- Jambon
- Saucisse
- Mouton - chêvre
- Volailles: poule, canard, dindes, oeufs
- gibier

LES POISSONS


- Morue verte et sèche
- Maquereau
- Anguille
- Sardine


FRUITS ET LEGUMES


- Pois, pois vert
- Blé d'inde
- Légumages
- Choux
- Pommes

 

 

 

 

 

       - Beurre
- Fromage

CONDIMETS


- Sucre blanc
- Sucre cassonade
- Melasse
- Sel
-Poivre
- Huile d'olive
- Vinaigre


DENREES A BASE DE FARINE


- Farine
- Pain
- Tarte
- Biscuit
- "Biscuit machemore"


PRODUITS EXOTIQUES


- Chocolat
- Café
- Thé
- Riz
- Amandes
 

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