ERIC KRAUSE

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ERIC KRAUSE REPORTS

MY HISTORICAL REPORTS
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Transcripts of Assorted Manuscripts available at the Fortress of Louisbourg, 

by Eric Krause 

(Krause House Info-Research Solutions)

2004 - Present


FRANCE: 
C11C


PRODUCTIONS EXTÉRIEURES DE LISLE DU CAP BRETON

Elles se renferment toutes dans la seule pesche des molues, il ne s'agit pas icy d'en donner le détail ny la description, le Sieur Denis y a satisfait dans son histoire naturelle de l'Amérique Septentrionale avec toute l'exactitude qu'on sçauroit désirer, il n'est question que de faire voir ainsy qu'on se l'est proposé qu'on ne retirera jamais tous les avantages des pesches qu'en les rendant sédentaires, et que ce n'est que dans l'Isle du Cap Breton qu'on peut exécutter avec succez une enterprise de cette importance.

La pesche des molues se fait en deux manières, l'une avec des vaisseaux sur les bancs de terre neuve au large des costes de Canada, l'autre à terre et sur les bords de la mer, par la première, on salle dans les vaisseaux les molues comme on les tire de la mer, ce qu'on appelle les poissons verds qui n'est autre chose que la molue blanche dont il se fait une si grande consommation à Paris ; par la Seconde, on fait sécher les molues sur les côtes de la rner après les avoir sallées, et c'est ce qu'on appelle le poisson sec ou vulgairement nierluche, qui se débite par tout le monde et dont on ne fait presqu'aucun usage à Paris, faute d'en connoître le mérite.

Tous ceux qui ont écrit des p'eches sédentaires, ou qui ont travaillé à les établir jusques a présent n'ont pensé qu'à la pêche sèche, on se propose de faire voir icy qu'on en peut faire de mesme de la pesche verte, pourvu qu'on en fixe l'établissement dans l'Isle du Cap Breton, la préférence luy en doit appartenir par le droit de sa situation elle est comme assise au milieu des mers les plus poissonneuses, et dans le centre de tous les bancs, sur lesquels les vaisseaux de France ont accoutumé de faire la pesche, par conséquent l'on y peut faire l'une et l'autre pesche et les rendre l'une et l'autre sédentaires dans cette Isle.

L'expérience en décide, de tems immémorial, les vaisseaux ont fait la pesche sèche sur les côtes du Cap Breton, le Forillon, l'Isle plate, l'Indiane, Niganiche, Achpé Le Chadie, cuceaux, le havre à l'Anglois et la Balaine qui en dépendent, ne sont jamais sans vaisseaux en temps de paix ils y font ordinairement leur pesche complette, à moins de quelqu'accident, c'est une marque certaine que la morue y est abondante, mais ce n'est pas à dire pour cela qu'il n'y en ayt précisement que dans ces endroits là quand on les désigne icy en particulier comme des lieux de pesche, c'est que de la manière que les vaisseaux ont fàit la pesche jusques à présent, ils n'ont pratiqué que ces endroits la que parce qu'ils ne trouvoient pas à se mettre à l'abry ailleurs, et que la petitesse de leurs chaloupes de pesche ne permettoit pas aux pescheurs de s'en éloigner beaucoup, pour chercher la molue ailleurs ainsi on a parlé a cet égard comme s'il n'y en avoit eu qu'au Forillon, à Niganiche, au Havre à l'anglois, et coetera, et point du tout ailleurs ; mais ce seroit une erreur de le penser ainsi, la molue est aussy abondante par tout le reste des costes de l'Isle que dans ces endroits fréquentez, on en trouve également partout ailleurs.

Ainsy dès que la pesche sera devenue sédentaire, et qu'elle ne se fera plus que par les habitans de l'Isle, il ne sera plus question de s'assujettir aux endroits où les vaisseaux peuvent seulement se mettre à l'abry, pendant le temps de la pesche les habitans pouvant pecher indifféremment sur toutes les costes, les couvriront de leurs chaloupes, et feront deux fois plus de poisson que celles de France par cette raison, et parce qu'étant sur les lieux ils commenceront plustost et finiront la pesche plus tard, si les chaloupes ordinaires ne leur suffisent pas ils auront des barques de toutes grandeurs avec lesquelles ils iront au large sur les bancs poissonneuses où ils trouveront toujours à charger ; les vaisseaux de France ne peuvent pas faire la mesme chose faute de barques qi~'ils ne peuvent pas aporter aussi facilement que de petites chaloupes.

Et c'est par le moyen de ces barques que l'on se propose de faire voir icy que la pesche vert peut devenir sédentaire aussi bien que la sesche, c'est un fait constant que la plus part des vaisseaux de France viennent faire la pesche verte sur le banc a verd, sur le banc de Saint Pierre, sur ceux de l'Isle de Sable et même jusque dans le golfe de Canada. C'est un autre fait,, encore plus constant, que tous ces bancs sont à portée de l'Isle du Cap Breton et qu'elle en est environnée, il seroit donc par conséquent plus facile aux habitans de l'Isle qui seroient sur les lieux de faire cette pesche avec leurs barques, qu'aux vaisseaux de France qui ont huit cent lieues, et de grands frais à faire, et de grands risques à courir pour s'y rendre.

On peut dire de mesme de la pesche verte du grand Banc, les habitans du Cap Breton qui n'en seroient qu'à quatre vingt lieues, la pourroient faire avec plus de facilité que les vaisseaux de France qui font sept cent lieues et de grands frais pour s'y rendre, ces vaisseaux qui peschent au large et hors de la vue de la terre, sont obligez de saller la molue telle que les pescheurs la tirent de la mer, ils en peschent de quatre sortes, de grandes, de moyennes, de petites, et de plus petites qu'ils appellent " Raquet," sur ce pied là lorsqu'ils retournent France, ils emportent de quatre sortes de poissons, qui ont chacun leur prix a la outre que c'est un embaras que de concilier ces différents prix, il arrive souvent que trouvant plus de petit et de raquet, que de grand et de moyen, celuy des deux premié qualitez ne se vend pas avantageusement.

Il n'en seroit pas de mesme, si la pesche verte étoit sédentaire, quoy que les habita du Cap Breton fussent obligez de saller dans leurs barques toutes les molues telles qu'ils tireroient de la mer, ainsi que les pescheurs de France, ils seroient néanmoins les maitr d'en faire le tirage dans leurs barques mêmes, de n'habiller au verd que le grand et le m poisson, et de réserver tout l'inférieur pour mettre au sel, par ce moyen les cargaisons poisson verd seroient uniformes, les ventes en seroient plus faciles et plus avantageuses, et qualité du poisson beaucoup meilleure.

La pesche sèche y trouveroit aussi son avantage, comme il n'y a que le moyen et le petit poisson qui puisse sécher, il arrive souvent qu'on pesche autant de grandes molues que de petits, on a regret de jetter les grandes à la mer, on risque de les, faire sécher, on consomme beaucoup de sel à les saller, parceque étant fort époisses elles pourriroient si on y épargnoit le sel la moindre pluye, le moindre brouillard y met la corruption et l'on est obligé de les jetter après avoir perdu beaucoup de sel et de tems à les soigner, cela n'arplus si la pesche verte étoit sédentaire, on ne risqueroit plus de faire sécher le grand poisson, on le salleroit au verd et rien ne seroit perdu.

On en a un exemple dans la pesche qui se fait à l'Isle Percée à l'embrochure du fleuve de Saint Laurens, il y vient ordinairement sept ou huit vaisseaux en temps de paix, il y a des Basques et des Normands, les Normands ne veullent point de poisson sec, les Basques n'en veullent point de verd, ils s'accommodent ensemble, les Normands prennent le grand poisson au Basques, et les Basques reçoivent des Normands deux petites molues pour une grande, ainsi toute le monde est content et cela détruit en meme temps l'opinion de quelques particuliers qui prétendent que le grand poisson qui se pesche sur les côtes n'est pas aussi bon que celuy du grand Banc, si cela estoit, les Normands qui sçavent leurs intérêts et qui n'aponent ce poisson verd au havre que pour Paris, ne se chargeroient pas d'une marchandise dont ils ne trouveroient pas le débit, si donc les grandes molües de l'Isle Percée sont bonnes à mettre au verd, à plus forte raison celles qui se peschent dans toute le golfe de Canada, sur tout autour des Isles de la Madelaine et de Brion, où elles sont communément d'une grandeur prodieieuse, fort grasse et d'une meilleure qualité.

En rendant ainsy sédentaire la pesche du poisson verd et celle du poisson sec, il n'y aurait plus à l'avenir que de grandes molües vertes et par conséquent de la meilleure qualité, tout le poisson seroit pareillement de la qualité propre pour les différents pays où le commerce fait, on en feroit le tirage au Cap Breton, l'on y tiendroit des magazins assortis de chaque qualitité où les vaisseaux trouveroient leurs charges de grandes molües vertes pour France, de poisson sec pour Marseille et pour le Levant, de grand poisson sec pour l'Espagne et le Portugal et de moyen poisson sec pour le Royaume, au lieu que jusques à présent, ces vaisseaux ont été obligez de n'emporter que ce qu'ils peschoient, et comme ils le peschoient.

On jugera par ce détail de l'étendue des productions extérieures de l'Isle du Cap Breton, qu'elles ne soient que d'une espece, on peut dire sans exagération qu'on en pourroit -à--e avec le temps un commerce de plus dedeux vaisseaux tous les ans, qui tiendroient en nouvement tous les peuples de cette Isle, et leur donneroient les moyens de subsister aisé- - 7 - de leur travail, joint aux productions de leurs terres, il s'agit à l'heure qu'il est de :-C>uver dans cette grande Isle un endroit capable de recevoir un Etablissement de cette -nportance et dont on en puisse faire le chef lieu, après quoy on fera voir les avantages que ~e Roy, l'Etat et le commerce en pourront retirer. . . .

LE CHEF LIEU DE L'ETABLISSEMENT

Il y a deux raisons principalles de l'établir dans la Baye aux Espagnols.

Premièrement:

La bonté de son Port et de ses Rades ;

Secondement:

Les communications qu'elle a avec tous les autres ports de l'Isle et même avec l'Acadie par le Labrador.

On voit par le plan que le Pilote jean Albert en a levé en 1692, et par la description qu'il en donne dans son journal qu'il est difficile de trouver un endroit plus commode et plus avantageux pour le commerce, le Sieur de Montegu, Capitaine de frégate dit dans son journal de la même année qu'il a sonde toute cette Baye et que c'est un des plus beaux ports qu'on sçauroit voir, la description qu'on en a desja donnée en marque assés tous les avantages pour qu'on puisse convenir que cet endroit mérite la préférence de cet Etablissement.

On peut entrer et mouiller dans ses rades la nuit comme le jour, on en peut sortir de même, on est à couvert dans son port des plus mauvais tems et des ennemis, il y a partout six, sept, huit et neuf brasses d'eau dans ses rades, dans son port, et même jusque tout aupres de terre, les fonds sont de sable vazeux, il n'y a aucuns roshers qui puissent endomager les câbles et les anchres, les vaisseaux peuvent charger commodérnent partout, on pourroit bàtir la ville principalle entre les deux bras qui partagent la Baye à une lieue de son entrée ; la situation en seroit avantageuse et magnifique, il ne seroit nécessaire de la fortifier que du costé de la terre, on peut à peu de frais la mettre en deffense contre tous les efforts des ennemis, on pourroit encore la placer avec les mêmes avantages entre la Rivière aux cerfs et le bras gauche de cette Baye, la longue digue qui paroît dans le plan en fait un port très spacieux, très assuré et très commode, c'est sur quoy il seroit difficile de se déterminer sans être sur les lieux.

Cette ville deviendroit en peu de tems considérable et d'une grande étendue, les magazins seuls pour recevoir les poissons, les productions du pays, les sels, les appareaux de pesche, aussi bien que les marchandises de France, de Québec et d'ailleurs, occuperoient beaucoup de terrain, l'abord d'un grand nombre de vaisseaux, le mouvement continuel d'une infinité de barques et de chaloupes y atireroient beaucoup de marchands et d'artisans, la campagne surtout des environs se peupleroit de bourgs et de villages, on cultiveroit la terre avec d'autant plus de soin que les grains et les denrées y trouveroient un prompt débit par la consommation qui s'en feroit dans le lieu même et par le transport qui s'en feroit au dehors, on n'y verroit ny pauvres, ny fainéans, on y trouveroit toujours de l'occupation, jusqu'aux femmes et aux enfans qui y seroient employez à laver, à tourner, à porter et a préparer le poisson sur la grave et sur les vignaux, tout le peuple seroit pescheur, ou laboureur, ou artisan, les bourgeois et les marchands seroient occupez de leur commerce, les communications que cet endroit a d'ailleurs par terre avec les autres ports de l'Isle et mesme avec l'Acadie par le Labrador, seroient seules un motif de luy donner la préférence de l'Etablissement principal, dont il s'agit de faire voir les avantages dans les articles suivans.

LES AVANTAGES DE CET ETABLISSEMENT

Premièrement.

Il rend le commerce des pesches certain de casuel qu'il a toujours été jusques à présent.

Secondement.

Il réunit tout ce commerce dans la seule maîn des François à l'exclusion des Anglois qui l'usurpent depuis longtemps.

Troisièmement.

Il devient le Boulvard et le magazin des colonies de Canada, de l'Acadie et de Plaisance.

Quatrièmement.

Il sera l'entrepost et le refuge des vaisseaux qui reviennent des grandes Indes, des Espagnoles, des Isles de l'Amérique et de tous cuux qui frequentent les mers àt Canada.

En parlant avec ordre de ces quatre avantages principaux, on en découvrira une infinité d'autres particulières qui font d'autant mieux juger du mérite de cet Etablissement.

Premier Avantage.

De la manière que l'on a fait la pesche du poisson sec jusques à présent, on a été obligé de faire partir les vaisseaux de France dès le mois de Mars, pour arriver aux côtes de Canada dans la saison que la molüe commence a s'en aprocher, les mers sont rudes et les vents violens dans les mois de Mars et d'Avril à cause de l'Equinoxe, souvent ils sont contraires pour sortir jusques bien avant dans le mois de May, quand ces vaisseaux partent trop tard, ils n'ont pas le temps de faire leur pesche quand ils partent assés tost, ils trouvent des tourments à la mer, ils démâtent, ils perdent une partie de leurs sels et de leurs vivres, ils relâchent, la dépense de leur équipement est perdue pour les marchands ou pour les assureurs.

Les vaisseaux qui partent pour le poisson verd, n'ont pas a la vérité les mêmes risques à courir, parce qu'ils peuvent sortir dans la belle saison, mais ils ont a essuyer sur le grand Banc les coups de vent les plus violents qui les empeschent de pescher, qui souvent les obligent de débarquer, et quelque fois de relâcher en France en quelque état que soit leur pesche.

Suposans les uns et les autres de ces vaisseaux heureusement arrivez au lieu de leur destination, si le poisson n'est pas abondant, si les grands vents les empeschent de pescher, si les pluyes empeschent de sécher le poisson, s'ils perdent leurs chaloupes par quelque tempeste, comme il arrive assés souvent, s'ils manquent de vivres, s'ils sont jettez à la coste par le mauvais temps ou incommaudez sur le grand Banc, on peut compter que dans les uns ou les autres de ces cas, leur pesche est notablement interrompue, si celle n'est pas tout à fàit perdue.

En quelque saison que ces vaisseaux partent pour la pesche, ils ont une longue et rude traversée à faire avant que d'arriver aux côtes de Canada ou sur le grand Banc, personne n'ignore que les vents sont presque toujours contraires pour ces voyages, les vaisseaux qui font le poisson sec demeurent près de quatre mois à la coste et ne mettent guère moins de huit mois à tout leur voyage ; ceux qui font le poisson verd ne sont pas si longtemps dehors, mais ils sont toujours exposez, ainsi ces voyages qui sont toujours longs coûtent beaucoup aux marchands, qui souvent sont trop heureux de retirer une partie de leurs avances, bien loin d'y trouver du profit.

On n'obtient que rarement pendant la guerre des équipages pour la pesche, les vaisseaux des particuliers auxquels on en accorde sont en proye aux Corsaires Anglois de Boston, aussy bien sur le grand Banc que sur les cotes de Canada, tous les vaisseaux pris à l'Isle Percée, à Bonnaventure, à Gaspé, au Cap Breton et sur le grand Banc pendant la dernière guerre, ne le prouve que trop, mais quand le peu de vaisseaux qui sortent pendant la guerre pour la pêche des molties reviendroit à bon port, ce poisson estant rare est toujours si cher dans le Royaume, qu'on n'en sçauroit trouver la consommation entiere, sans être à charge au public.

Tous ces inconvéniens cesseroit si les pesches devenoient sédentaires, ce commerce seroit aussy florissant en temps de guerre que pendant la paix, les marchands n'en feroient [sic] plus les avances, il n'y auroit presque plus de risques a le faire, les vaisseaux ne partiroient plus à l'équinoxe de Mars, assurez de trouver à l'Etablissement la pesche toute faite par les habitans, ils ne mettoient plus à la mer qu'en May, Juin et juillet dans une saison si belle, ils ne risqueroient plus de perdre leurs sels, leurs vivres, leurs marchandises, ny de relâcher ; leur navigation seroit heureuse, ils ne prendroient que des Equipages ordinaires, et des vivres qu'autant qu'il leur en faudroit pour se rendre à l'Etablissement, ils ne feroient plus la dépense d'embarquer les chaloupes ny les autres appareaux de pesche, ils chargeroient entièrement de marchandises et de choses à la vérité necessaires a la pesche, mais ce ne seroit plus pour la consommer par eux-mêmes en faisant la pesche comme autrefois, ce seroit un pur commerce, et pour revendre aux marchands de l'Etablissement qui les payeroient en poisson tout fait et en d'autres effets ; ils passeroient en quarante jours de France à l'établissement, ils n'y séjourneroient qu'autant qu'il seroit necessaire pour décharger et recharger, ils repasseroient en France en vingt jours et pourroient faire tout le voyage en trois mois, ils pourroient en faire deux par an ; ceux qu'on destineroit pour les Isles de l'Amérique, pour le Mexique, pour l'Espagne, le Portugal, la Méditerranée ou pour le Levant feroient trois fois leur frêt dans la même année de France à l'Etablissement, de là dans les pays Etranges, et des pays etrangers en France, ils prendroient des vivres à l'Etablissement pour leur retour, en quelqu'endroit qu'ils le fissent, ils y trouveroient des mats, des vergues, et d'autres pièces s'ils en avoient besoin, ils pourroient mesme s'en garnir entièrement sans autre dépense que de les couper quelque difliculté qu'il y eust d'obtenir des Equipages en esté, pendant la guerre ils en auroient au pis aller vers la fin d'aoust que les vaisseaux du Roy ont continué de désarmer, alors ils partiroient en flotte sous l'escorte de deux ou trois frégates de Sa Majesté qui les conduiroient à l'Etablissement et les rameneroient en France, par la le commerce de la pesche ne seroit jamais interrompu, parce qu'il se feroit par les habitans du lieu, qui comptans sur l'arrivée de la flotte prépareroient le poisson en l'attendant. Sa Majesté en recevroit toujours les droits et la molue seroit a bon marché dans le Royaume en guerre comme en paix.

Deuxième Avantage.

La pesche sédentaire que les Anglois ont établis à la coste de l'Est de l'Isle de Terre Neuve depuis quarante ans est une usurpation formelle de leur part, cette Isle apartient sans contredit à Sa Majesté suivant le partage de l'Amérique Septentrionale entre la France et l'Angleterre, le peu d'attention qu'on a eue pour une affaire de cette conséquence a donné lieu à la possession que les Anglois en ont prise, il paroît par de bons mémoires qu'ils y chargent tous les ans plus de cent vaisseaux de poisson sec.

La pesche qu'ils font encore avec les barques de la cote de Baston sur celles de l'Acadie est une autre usurpation, ils n'en peuvent pas contester la propriété a la France puis qu'ils l'ont rendue plusieurs fois par des traitez de paix, mais quoy qu'ils n'y trafiquent plus avec les habitans, ils ne discontinuent pas pour cela d'y faire la pesche des molties qu'ils portent sécher sur leurs costes, le peu d'oposition qu'ils y trouvent de la part des François n'est pas capable de les en empecher, ils font encore par cette pesche au moins la charge de cent vaisseaux de poisson sec tous les ans.

Comme les Anglois ne consomment presque point de poisson sec en Europe, ils le portent en Espagne, en Portugal et jusques dans le Levant où ils le vendent en concurrence avec les François qui devroient estre seuls maitres de ce commerce.

Il n'y a que l'Etablissement proposé qui puisse en donner l'exclusion aux Anglois, s'ils trouvent la côte de l'Acadie occupée par les Barques et les chaloupes des habitans du Cap Breton on peut compter que d'eux-mêmes ils ne s'y présenteroient plus, ainsy même en pleine paix, sans recommencer la guerre, sans effusion de sang, sans aucune depense, Sa Majesté n'usant que de son droit, peut oster pour jamais aux Anglois un commerce usurpé qui a formé et qui soutient encore aujourd'huy leur Colonie de Baston, ainsy qu'ils en conviennent eux-memes.

Il ne seroit pas si facile de leur ôter celuy de la cote de Terre Neuve, comme les Anglois en ont pris une espece de possession, il semble qu'on ne pourroit les en chasser qu'en tems de guerre, mais pour lors la chose seroit fort aisé, si quelques Canadiens venus de Québec à Plaisance, où il y a plus de deux cens lieues par mer, ont ruiné ces dernieres annés toute la cote angloise, fait le dégât de leur sel, brûli leurs chaloupes, et leurs maisons, les habitans du Cap Breton qui seroient en bien plus grand nombre, qui auroient un intérest particulier de detruire cette côte, et qui n'auroient que trente ou trente-cinq lieues de mer à traverser pour se rendre à Plaisance, seroient en etat de les harceler si souvent qu'ils les forceroient enfin d'abandonner pour jamais un pays stérile qui ne produit rien et qu'ils n'occupent que par raport à la pesche qui y est très abondante.

Suposant donc les Aiiglois exclus de ces pâches, comme cela seroit sans doute lorsque l'Etablissement du Cap Breton seroit formé, ce commerce doubleroit chaque année en faveur de la France aussi bien que les droits des fermes de Sa Majesté, la chose parle d'elle-même.

Troisième Avantage.

Si l'on considère avec attention la progression des Anglois dans leurs Colonies de la Nouvelle Angleterre, on aura lieu de trembler pour celle de Canada, il n'y a point d'année qu'il ne naisse parmy eux autant d'enfans qu'il y a d'hommes dans tout le Canada, en peu d'années ce peuple sera dangereux et redoutable, et le Canada ne sera guères plus peuplé qu'il n'est aujourd'huy, soit douceur de climat qui favorise la culture de leurs terres, la progression de leurs bestiaux et qui leur permet de naviguer en tout tems, soit industrie particulière,, il est certain que leurs colonies sont établies de ce côte-là comme l'Angleterre même.

Il est encore tems de prévoir et de prévenir les suites inévitables de cette supériorite des Anglois, on ne doit pas douter qu'elle ne leur inspire enfin quelque jour, le dessein de se rendre maîtres du Canada et par là de toute l'Amérique septentrionale, quoy que le Canada ne paroisse pas fort important à ceux qui ne le connoissent pas à fond, il est certain néantmoins que la France perdroit avec ce pays-là le commerce des castors qui ne laisse pas d'être necessaire et considérable par sa circulation celuy des originaux et des pelleteries qui se débitent dans le Royaume et chez les Etrangers et de quelques autres effets qu'on en pourroit tirer, mais on doit adjouter à cela qu'il est de la gloire et de la piété du Roy de ne pas laisser tomber un si grands pays entre les mains d'une nation hérétique, jealous du commerce des François et qui commenceroit à étouffer dans les coeurs de ses sujets et des sauvages les sernences de la Religion.

En perdant le Canada la France perdroit encore les pesches des molûes, les Anglois pour s'en assurer se fortifieroient dans tous les endroits avantageux, ils couvriraient ces mers et le grand Banc de leurs vaisseaux, la navigation en seroit fermée aux François, les matelots diminueroient de la moitié dans le Royaume, on seroit obligé de racheter la molüe des Anglois, les François perdroient la consommation des sels et des effets propres à la pesche, et Sa Majesté les droits que luy aportoit un si grand commerce, le mal seroit trop grand pour que Sa Majesté le pût souffrir, et ce ne pourroit être que par des dépenses prodigieuses et par la guerre ouverte qu'on pourroit rentrer dans la possession de ce qu'il est aisé de ne pas perdre en occupant le Cap Breton.

Cette Isle est le clef du Canada et de toutes les côtes de la Nouvelle France, en la fortifiant les Anglois ne pourront plus rien entreprendre de ce côté-là, ils ne s'aviseront jamais d'entrer dans le profondeur du Golfe de Saint Laurens pour monter jusqu'à Québec, pendant qu'ils auront derrière eux un poste de cette importance.

L'Acadie et Plaisance ne seroient pas moins en sûreté par cet Etablissement, le nombre et la valleur de ses habitans, leur expérience au fait de la navigation et des armes dont ils feroient un exercise continuel, les mettroient en peu de tems en état de tout entreprendre, de fàire trembler les Anglois jusques dans Baston, et de desoler toutes leurs cotes en temps de guerre.

Le Cap Breton seroit encore le magasin général de tous ces pays, les habitans y trouveroient les marchandises, les effets et leurs secours dont ils auroient besoin en échange des vivres, des denrées et des autres choses qu'ils y apporteroient de Québec et d'ailleurs.

Quatrième Avantage.

Tous les vaisseaux qui reviennent des Isles de l'Amérique, du Mexique, du Perou, de la Mer du Sud et mesme des grandes Indes sont obligez par la disposition des vents de venir chercher les hauteurs de Canada, et de passer à la pointe méridionale du Grand Banc de Terre Neuve pour retourner en Europe ; il arrive assés souvent que la plus part de ces vaisseaux manquent ou de vivres ou d'eau, ou de bois, qu'ils sont démâtez, qu'ils ont des voyes d'eau ou que leurs équipages sont malades, il y a encore près de sept cens lieues de là en France, où ils ne sont pas en estat de se rendre sans estre . . .

Tous les vaisseaux pescheurs et ceux qui passent au Cap Breton en allant a Québec ey refugieront dans la necessité la navigation de Canada étant des plus rudes, surtout en revenant de Québec dans l'arrière saison, les équipages et les passagers des vaisseaux qui auroient le malheur de faire naufrage dans le golfe de Canada pourroient trouver leur salut dans cet Etablissement. . . .

The writer then takes up objections to his project and concludes.

CONCLUSION

L'Etablissement proposé réunit toutes les pesches dans la main des François, en donne l'exclusion absolue aux Anglais, defîend les colonies de Canada, de Terre Neuve et de l'Acadie contre tous leurs efforts, empeschent [sic] qu'ils ne se rendent maîtres de tous ces grands pays, et par là mesme de toutes les pesches, il ruine leur colonie de Baston en les en excluant et sans leur faire la guerre, il est le refuge des vaisseaux incommodez qui fréquentent ces mers, ou pour la pesche ou pour les voyages de Canada, il devient le rendez-vous et l'entrepost des vaisseaux des Indes, des Isles de l'Amérique, de la Nouvelle Espagne, il augmente le nombre des matelots, il facilite le commerce de Canada et favorise le debit de ses grains et de ses denrées, il fournira les arceneaux de Sa Majeste de mâts, de vergues, de bordages, de planches, de pieces de construction, de bray, de goldrons, d'huiles de poisson, de charbon de terre, de plâtre et mesme de molües pour les victuailles des équipages, les étrangers qui ont accoutumé de fournir tous ces effets n'emporteront plus l'argent du Royaume, il augmente la domination de Sa Majesté, le commerce de ses sujets, les droits de ses fermes, et la consommation de sels et des denrées du Royaume, c'en est assez eour faire voir que cet Etablissement est enfin devenu d'une necessite indispensable, et qu'il est tems d'y mettre efficacement la main.

Il ne reste plus qu'à donner dans un mémoire particulier les moyens de former à peu frais un Etablissement de cette importance. - A Paris le trentieme Novembre 1706.

NON SIGNÉ.

[Source: C11C, Amérique du Nord, Volume 8, Gaspé, Canceau, Ile Royale, Ile Madame, Ile St. Jean, 1706 - Transcribed by: J. S. McLennan, Louisbourg from its foundation to its fall (Fortress Press, 1969) - pp. 22-31]