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LE TAMBOUR À LOUISBOURG
Le maréchal français de Saxe observait en 1757 que « Il n’y a rien de plus normal que de voir des personnes danser ensemble toute une nuit, et y prendre plaisir, mais enlevez-leur la musique, et la plus résistante d’entre elles sera incapable de le supporter pendant plus de deux heures, ce qui prouve bien que les sons ont un pouvoir secret sur nous qui invite notre corps à l’exercice, et qui abolit en même temps l’effort que demande cette activité » (traduction libre).
L'utilité de la musique dans les mouvements de troupes est bien connue de l'armée dans tous les pays; sans compter que la mesure possède également la vertu d'atténuer la monotonie. Il est difficile de rester insensible à la musique martiale d'une fanfare qui défile. Si les airs que jouent les fifres, les cors ou les cornemuses peuvent nous trotter dans la tête longtemps après le défilé, c'est le son net du tambour dominant celui de tous les autres instruments qui rythme le mouvement de nos pieds. Même les gens qui n'ont pas l'oreille musicale sont capables de suivre sa cadence répétitive. Comme le disait le maréchal de Saxe, cette cadence est « si naturelle qu’on ne peut s’empêcher de la suivre. Quand le tambour bat l’appel aux armes, les soldats forment les rangs sans s’en rendre compte, naturellement et comme instinctivement » (traduction libre).
Apporté en Europe au Moyen Âge par les Turcs au cours de leurs invasions, le tambour est apparu en France pour la première fois en 1347, lors de la prise de Calais par l'armée anglaise sous le règne d'Édouard III, et ne tarda pas ensuite à être adopté par l'armée française. Thoinot Arbeau, chorégraphe du 16e siècle, explique l'utilité du tambour en disant que si trois hommes marchent ensemble et que chacun veut aller à son propre rythme, ils ne marcheront pas en cadence. C'est pourquoi, dans la marche militaire, les Français ont employé le tambour, afin de cadencer le pas des soldats.
Ce n'est cependant pas toujours dans la marche que le tambour s'est avéré utile aux soldats. Comme le son du tambour porte loin et domine les autres sons, il est devenu « la voix du Commandant », transmettant ses ordres aux troupes pendant les marches et réglant la vie du camp ou de la garnison. Dans chaque pays, l'armée a adopté un répertoire particulier de batteries de tambour, ou séries de battements, pour faciliter la transmission des ordres des officiers aux soldats. Un joueur de tambour devait donc savoir jouer chaque batterie qui correspondait à ces ordres. Toute erreur de sa part, surtout sur le champ de bataille, pouvait entraîner la confusion, la panique, voire même la défaite. Comme certaines batteries avaient plusieurs significations en fonction du moment précis où elles étaient jouées, les soldats devaient pouvoir reconnaître non seulement la batterie en question, mais savoir ce qu'elle voulait dire à tel ou tel moment. Les joueurs de tambour devaient aussi apprendre les batteries utilisées par les armées ennemies afin de pouvoir informer leurs officiers des mouvements de l'ennemi.
Quand une armée était en garnison à la forteresse ou dans la ville, ce n'était pas seulement la vie des soldats qui était réglée par les battements du tambour, mais également, dans une certaine mesure, celle des civils de la région. Comme les soldats, ils se réveillaient au son du tambour qui battait le réveil. Ils savaient aussi quand les portes de la ville étaient ouvertes ou fermées, quand il y avait des annonces particulières, ou encore quand ils devaient s'éclairer avec une lanterne dans les rues, faute de quoi ils risquaient de se faire arrêter. Même les batteries strictement réservées à la vie militaire servaient à informer les civils des heures de la journée, parce qu'elles s'inscrivaient dans une routine bien établie.
Le rôle déterminant du tambour en tant que moyen de communication conférait
une certaine importance aux joueurs de cet instrument. Ils recevaient en général
une solde plus élevée que les autres soldats, dormaient à part dans des
chambrées moins surpeuplées, et étaient dispensés de certaines corvées
fastidieuses. L'uniforme au parement coloré du tambour était le signe le plus
évident de son statut spécial au sein de l'armée. Comme il était important
pour un commandant de pouvoir repérer facilement son tambour, ce dernier
portait en général un uniforme rehaussé d'un parement chamarré, qui le
distinguait clairement du reste des troupes. Objet de fierté pour celui qui le
portait, l'uniforme pouvait toutefois être un inconvénient sur le champ de
bataille. En effet, quoi de mieux pour semer la confusion au sein des troupes
ennemies que d'empêcher la transmission des ordres du commandant! Quand
l'ennemi parvenait à réduire au silence
« la voix du Commandant », cible sans arme et bien visible, il avait un
net avantage.
Il
y avait également à Louisbourg quatre tambours et un fifre qui faisaient
partie du Régiment Karrer, une unité de mercenaires au service de la France
commandée par Franz Adam Karrer, colonel suisse. Leur uniforme rouge et jaune,
orné de la livrée de leur colonel, devait certainement être plus frappant que
celui des Compagnies franches. De nombreux différends éclatèrent pendant
l'affectation du Régiment Karrer à Louisbourg entre ses commandants et les
autorités de la colonie de l'Île Royale. Il est intéressant de constater que
certains de ces différends concernaient les joueurs de tambour, les types de
batteries à jouer et le moment de les jouer.
Un autre tambour
était assigné à l'unique compagnie d'infanterie stationnée à Louisbourg et
autorisée en 1743. Les couleurs de l'uniforme des soldats de cette compagnie étaient
les mêmes que celles de l'uniforme des tambours des Compagnies franches –
veste, culottes et bas rouges, et justaucorps bleu bordé d'un parement rouge;
il n'y avait que le parement du justaucorps des tambours qui les différenciaient.
Le tambour de la compagnie d'artillerie portait aussi un uniforme rouge et bleu,
mais les couleurs étaient inversées, et son justaucorps était également orné
de la livrée du roi.
Rien que d'après
la proportion de tambours par rapport aux fifres, soit 21 pour 2, à Louisbourg,
il est évident qu'on n'accordait pas une grande importance au fifre et à ses mélodies.
Un observateur a d'ailleurs écrit au 17e siècle que le fifre était
un instrument ludique et que c'était au son du tambour que le soldat devait
marcher, ce qui était certainement le cas à Louisbourg. On ne sait rien des tâches
que remplissaient les deux tambours des Compagnies franches stationnés à
Louisbourg. Il est probable qu'ils devaient jouer presque uniquement lors des cérémonies
ou du moins, lors des occasions où les tambours étaient appelés à jouer tous
ensemble.
Au milieu du 18e siècle, les tambours étaient des caisses claires en chêne ou en noyer, de hauteur et de largeur égales, recouvertes de peaux tendues par des cordes. Leur diamètre ne dépassait pas 30 pouces (75 centimètres), car il était difficile de trouver des peaux suffisamment grandes pour couvrir le dessus du tambour. On utilisait des peaux de veau, de chèvre ou de mouton; ces peaux perdaient de leur tension avec l'humidité et il devenait alors très difficile d'exécuter les roulements. Les tambours commandés pour les Compagnies franches en garnison à Louisbourg étaient peints en bleu et ornés de fleurs de lys dorées; leurs deux cordes étaient faites de boyaux de chat, et le dessus et le dessous étaient en peau de chèvre, et non en peau de mouton, comme on préférait à l'époque.